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notes de synthèse

Octobre 2003


Biocarburants
par Edgard Gnansounou, Laboratoire de systèmes énergétiques - LASEN de l'EPFL

1. Introduction

La consommation mondiale d'énergie s'établit à 9 Gtep par an soit en moyenne 1,6 tep par habitant. Les énergies d'origine fossile représentent plus des trois quarts de cette consommation, ce qui pose de nombreux problèmes à savoir : le risque d'un changement climatique global, l'épuisement à terme de ressources de pétrole, de gaz naturel et de charbon constituées pendant des millions d'années, la concentration élevée de polluants dans l'air dans les grandes agglomérations urbaines, en particulier dans les pays en développement.

Pour réduire la consommation des énergies fossiles, on peut améliorer les performances énergétiques des équipements et/ou favoriser la pénétration des énergies renouvelables. Face aux crises ponctuelles du pétrole, l'accent a été mis sur les économies d'énergie. Les politiques volontaristes menées dans les pays de l'OCDE couplées aux progrès techniques ont permis de réduire les intensités énergétiques du PIB.

Mais dans le cas particulier du secteur des transports, malgré tous les efforts réalisés pour améliorer la consommation spécifique des véhicules, la demande de carburants ne cesse de croître de manière importante. Les carburants sont responsables au début de ce siècle de 25% environ de la consommation d'énergie primaire. Par ailleurs, la structure de la consommation d'énergie primaire du secteur des transports est de plus en plus dominée par le pétrole dont la part est passée de 92% en 1960 à 98% en l'an 2000.

Le secteur des transports est donc particulièrement vulnérable à des crises pétrolières éventuelles et, du fait de l'importance économique de ce secteur, l'ensemble de l'économie souffrirait de son dysfonctionnement. La crainte généralisée à la fin des années 1970 d'un épuisement des ressources pétrolières avait installé dans les esprits la rupture de l'approvisionnement en pétrole comme un risque majeur d'insécurité énergétique. La découverte de nouveaux gisements de pétrole et le recul de la part de marché des pays de l'OPEP, le ralentissement de la croissance économique dans les pays de l'OCDE, la baisse de l'intensité de consommation en pétrole du PIB dans ces pays ont contribué à dissiper cette crainte et ont même favorisé un optimisme exagéré sur l'élimination des risques liés à l'approvisionnement du pétrole. C'est oublier que la consommation du pétrole continue de croître de manière rapide dans beaucoup de pays en développement et que du fait des ressources limitées, les prix du pétrole évolueront à la hausse. A partir de quelle année une telle tendance s'amorcera-t-elle ? Il est difficile de répondre précisément à cette question car beaucoup dépendra de la croissance économique mondiale et de sa structure, en particulier des modes de consommation énergétique dans les pays en développement.

Dès lors, outre ses avantages environnementaux, l'option biocarburant apparaît comme un élément important de promotion d'une croissance économique sans à-coups nécessaire à développement pacifique des relations internationales. En effet, la géopolitique du pétrole est un lieu de conflits potentiels aujourd'hui qui s'aggraveront à l'avenir, au fur et à mesure que l'or noir se fera rare. Les coûts anticipés liés à la prévention de ces conflits ou à leur maîtrise pourraient bien dépasser les surcoûts occasionnés par une introduction massive de biocarburants et un financement accru de la recherche scientifique visant à rendre ces carburants plus compétitifs.

2. Une diversité de filières

Il existe de nombreuses filières de biocarburants parmi lesquelles on peut retenir les deux principales que sont le bioéthanol et le biodiesel (figure 1).



Figure 1 : Filières de biocarburants

2.1 L'éthanol ou alcool éthylique

Il est obtenu par fermentation de sucres simples (essentiellement glucose) présents dans des plantes au jus sucré (canne à sucre, betterave sucrière, etc.), dans des plantes amylacées (maïs, patate douce, manioc) ou dans des matières lignocellulosiques (herbe, résidus agro-forestiers, bois, etc.). Contrairement aux jus sucrés, l'amidon des biomasses amylacées et la cellulose et l'hémicellulose des biomasses lignocellulosiques doivent être hydrolysés pour être transformés en glucose. Si on maîtrise bien techniquement l'hydrolyse de l'amidon, ceci n'est pas le cas de l'hydrolyse en particulier enzymatique des matières lignocellulosiques. L'intérêt de cette dernière filière est l'abondance et la diversité des ressources lignocellulosiques et la possibilité d'éviter la concurrence entre les usages alimentaires et énergétiques de la biomasse.

2.2 Le biodiesel ou ester méthylique d'huile végétale

Il est obtenu par estérification de l'huile extraite de biomasses oléagineuses (colza, soja, etc.). le biodiesel reste intimement lié à la filière alimentaire. Des expériences sont faites notamment en Allemagne portant sur l'utilisation des huiles de récupération, par exemple, l'huile usagée des friteuses.

2.3 Autres biocarburants

Biogaz
Fabriqué par méthanisation de déchets biodégradables, le biogaz est constitué essentiellement de méthane. Il peut être purifié et être utilisé au même titre que le gaz naturel.

Biométhanol
Il est obtenu par gazéification de matières lignocellulosiques suivie d'une synthèse catalytique. Le méthanol est un alcool qui présente des caractéristiques de combustion similaires à celles de l'éthanol. Mais il est plus toxique.

ETBE (éthyl-tertio-butyl-éther)
Il est obtenu par synthèse de l'éthanol et de l'isobutène, un compose du pétrole.

MTBE (méthyl-tertio-butyl-éther)
Le MTBE est comparable à l'ETBE mais à la place de l'éthanol, le méthanol est utilisé.

3. Production et utilisation actuelles

3.1 Production actuelle

Parmi les biocarburants, c'est le bioéthanol qui fait l'objet d'une production importante à l'échelle mondiale. Le Brésil est le principal producteur de bioéthanol avec 11,15 milliards de litres en 2001, suivi des USA (6,63 milliards de litres). Viennent ensuite le Canada (238 millions de litres en 2001) et la France (115 millions de litres en 2001). Au Brésil, le bioéthanol est fabriqué à partir du jus de la canne à sucre alors qu'aux USA le maïs est la principale matière première suivi du blé. La France utilise principalement la betterave sucrière.

3.2 Utilisation actuelle

Le bioétahnol est actuellement utilisé essentiellement sous forme de mélange avec l'essence et dans une moindre mesure avec le diesel. Pour une proportion de bioéthanol dans l'essence jusqu'à 25% en volume, les moteurs classiques peuvent être utilisés sans aucune modification. Au-delà de ce seuil, il faut des moteurs spécialement conçus. Dans la pratique, à part le Brésil qui utilise à grande échelle le bioétahnol carburant sous sa forme pure dans des moteurs spéciaux, l'usage le plus répandu est le mélange avec l'essence avec un taux d'incorporation de 10% au plus.

4. Perspectives

Les biocarburants et en particulier le bioéthanol sont promis à un développement important dans les prochaines décennies.

4.1 Cas des USA

Suite à l'interdiction du MTBE dans plusieurs Etats, le marché du bioéthanol connaîtra une grande expansion qui fera des USA le premier producteur mondial en 2010 devant le Brésil. Il est alors prévu que la production triple par rapport au niveau actuel. A côté de la filière " maïs " qui continuera de jouer un rôle important, la filière lignocellulosique se développera. La première installation commerciale de transformation en bioéthanol de résidus agricoles est prévue pour 2004.

4.2 Cas de l'Union Européenne

Les biocarburants représentaient en l'an 2000 environ 0,3% de la consommation de diesel et d'essence de l'Europe des quinze. Mais seulement six pays avaient contribué à cette pénétration des biocarburants dans le marché : France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède, Autriche.

En octobre 2001, la Commission Européenne a proposé un plan d'action visant à promouvoir les " biocarburants et d'autres carburants de substitution dans les transports routiers ". Ce plan ambitieux vise à porter la part des biocarburants à 8% en 2020 et de manière générale à remplacer à cette échéance 20% des carburants traditionnels par des carburants de substitutions dans le secteur des transports routiers.

4.3 Cas de la Suisse

Environ 2 millions de litres de biodiesel sont produits chaque année en Suisse à partir de l'huile de colza. La filière est activement subventionnée. Le bioéthanol n'est actuellement utilisé en Suisse comme carburant que de manière très marginale. Mais la société Alcosuisse qui est le principal fournisseur d'alcool industriel dans le pays, est désireuse de développer le marché du bioéthanol carburant dans le cadre de sa stratégie de diversification. Malheureusement, les conditions qui ont permis le développement du bioéthanol ailleurs dans le monde existent peu en Suisse.

Politique volontariste
Contrairement aux cas des USA et de l'Union européenne, il n'existe pas en Suisse de volonté affichée de soutenir les filières des biocarburants. Ceci s'explique en grande partie par la cherté de l'agriculture suisse et en l'état, par la nécessité d'accroître les subventions à l'agriculture non alimentaire qui découlerait d'une option de développement des biocarburants.

La niche du MTBE
La consommation du MTBE concerne en Suisse essentiellement l'essence avec un indice d'octane de 98. or ce type de carburant a une part de marché marginale et en décroissance.

Objectifs liés au protocole de Kyoto
Contrairement à l'Union européenne qui inclut le développement des biocarburants comme un moyen pour atteindre les engagements de Kyoto, la Suisse au travers de son programme de politique énergétique et climatique (SuisseEnergie) mise essentiellement sur l'efficacité énergétique. Ainsi, dans le secteur des transports routiers, le programme SuisseEnergie a mis la priorité sur les engagements volontaires des importateurs de véhicules en vue de réduire les émissions de CO2 des nouveaux véhicules.

Avenir des biocarburants en Suisse
Il n'est pas à exclure qu'à l'instar de l'Union européenne, les pouvoirs publics en Suisse n'engagent une politique plus volontariste de soutien des filières de biocarburants. Ceci pourrait venir principalement d'une constatation que l'amélioration des performances des véhicules ne suffira pas à elle seule pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 du secteur des transports. Dans une telle perspective, et compte tenu de la cherté de l'agriculture suisse, un saut qualitatif pourrait être obtenu si les pouvoirs publics appuyaient les filières avancées basées sur les produits non alimentaires.

5. Conclusion

La trop grande dépendance du secteur des transports routiers au pétrole constitue une cause de grande vulnérabilité des économies aussi bien dans les pays de l'OCDE que dans les pays peu industrialisés. Dans le cas particulier des pays de l'Union européenne (Europe des quinze), la dépendance par rapport aux approvisionnements extérieurs atteindra 90% pour le pétrole avant l'année 2030. mais au-delà, des considérations de dépendance énergétique, l'enjeu principal est d'éviter des variations importantes des prix du pétrole qui risquent de perturber la croissance économique en particulier dans les pays en développement importateurs de pétrole. De ce point de vue, mais également du point de vue des avantages au niveau des impacts environnementaux, les biocarburants présentent un potentiel important qui mériterait d'être valorisé au travers d'une politique volontariste.

Selon les évaluations de l'Union européenne, au prix de 25€ le baril de pétrole, les biocarburants ne sont pas actuellement compétitifs sans subvention. Les coûts de production sont de 0,5 €/litre pour un biocarburant (bioéthanol ou biodiesel) et de 0,2-0,25 €/litre pour le diesel par exemple. A cela s'ajoute le fait qu'il faut 1,1 litre de biocarburant pour remplacer un litre de diesel. Mais les biocarburants présentent de nombreuses économies externes positives :

1) On parvient à une réduction des émissions nettes de CO2 de 2/3 par litre de biocarburant par comparaison avec les carburants fossiles, mais cette réduction dépend des énergies utilisées tout au long de la filière du biocarburant et peut changer de manière significative d'une technologie à l'autre.

2) Le surcoût pour remplacer 2% du diesel par du biocarburant serait annulé si cette mesure entraînait une baisse de 1% des cours mondiaux du pétrole.

3) Une part de marché de 1% de biocarburants dans la consommation totale de carburants dans l'Europe des quinze créerait ou maintiendrait entre 45'000 et 75'000 emplois en grande partie dans des zones rurales.

Toutes ces économies externes justifient la mise en place de mesures d'incitations fiscales et autres pour rendre compétitives les filières des biocarburants. Mais parallèlement, la recherche devra être encouragée de manière significative en vue de parvenir dans un avenir proche à une baisse sensible des coûts de production des biocarburants. Il faut sans doute voir un signe dans cette direction, dans l'importance accordée aux biocarburants dans le 6ème Programme cadre de recherche et développement et espérer que le prochain plan suisse de la recherche énergétique 2004-2007 suive la même voie.

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