logo FRE - retour à la page d'accueil










 Haut de la page




 Haut de la page




 Haut de la page




 Haut de la page

< Retour à la liste des lettres

Septembre 2005

Hausses pétrolières:

Pour avoir abandonné leurs efforts de diversification énergétique, notamment hydraulique et nucléaire, les pays industriels se trouvent aujourd’hui sans défense face à l’emballement des prix pétroliers. Un emballement alimenté par des manœuvres spéculatives.


Panique à bord! Les prix du pétrole ont pratiquement doublé en moins de deux ans. Et certains estiment que ce n’est qu'un début. Le 31 mars 2005, la banque d'affaires américaine Goldman Sachs prédisant que le prix du baril pourrait grimper rapidement à 105 dollars.
Le 7 avril dernier, dans son rapport annuel, le Fonds monétaire international enfonçait le clou. L'économiste en chef de cette organisation annonçait que le marché pétrolier restera tendu, avec des prix élevés et fluctuants qui présenteront un risque sérieux pour l'économie mondiale. En ajoutant qu'un baril à 100 dollars à court terme n’était plus irréaliste.
Quelles sont les raisons invoquées pour ce nouveau choc pétrolier? Pour le FMI, c'est la faute aux Chinois qui veulent satisfaire leur engouement pour les voitures. Goldman Sachs indique pour sa part avoir été «surpris» par la résistance des taux de croissance de l'économie et de la consommation pétrolière, notamment aux Etats-Unis et en Chine. Le Département américain à l’énergie (DOE) est quant à lui catégorique: la forte demande mondiale va continuer de soutenir les cours du brut.


«Les gangsters qui contrôlent le marché… »

Kevin Norrish, analyste à la banque Barclays, explique que cette hausse est due au manque de capacités de raffinage. Jim Ritterbusch, du groupe Ritterbusch and Associates, estime que l’emballement des prix n'a rien à voir avec l'offre et la demande, et que les achats sur le marché reposent sur des prévisions à long terme, selon lesquelles les surplus de production n’étaient pas durables.
Ces explications n'arri-vent pas à convaincre tout le monde pour autant. Dans les colonnes du New York Post (5 avril 2005), le journaliste économique John Crudele dénonçait «les gangsters qui contrôlent le marché», expliquant que les prix du pétrole ont grimpé «parce que Wall Street les veut élevés». A part «le pur égoïsme des spéculateurs», il ne voit aucune raison objective dans la hausse des prix.
John Crudele réfute toute pénurie physique, citant à l'appui le ministre indonésien du Pétrole, Purnomo Yusgiantoro, qui déclarait la semaine précédente que le monde disposait d’un excédent de production supérieur à 2 millions de barils par jour. Il ajoute qu’en plus de l'augmentation de la production annoncée par l'OPEP, les stocks sont, cette année, supérieurs de 5% à ce qu’ils étaient à la même époque en 2004.


Manipulations

A ce stade, certains éclaircissements doivent être apportés sur la manière dont sont fixés les prix du pétrole. Les chocs pétroliers de 1974 et 1979 ont profon-dément changé la façon dont ils sont déterminés. Auparavant dominaient les contrats à long terme, d’une durée moyenne de 24 et 36 mois, à prix stables. Ces contrats ont été entre-temps remplacés, d'abord par le marché spot, créé en 1969, puis par les marchés à terme, offrant ainsi la possibilité aux financiers d’agir directement sur les prix.
Sur le marché spot, les ventes sont conclues au jour le jour pour une quantité donnée de pétrole brut à enlever ou à livrer à un point donné. Aujourd'hui, les cours sont principalement déterminés dans les marchés à terme, en particulier au New York Mercan-tile Exchange (NYMEX), qui a commencé ses transactions sur le pétrole en 1983, et à l'International Petroleum Exchange (IPE), créé en 1980 et basé à Lon-dres.
Les contrats à terme consistent à passer des ordres d'achat ou de vente d'une certaine quantité de «pétrole papier». L'objectif affiché est de se couvrir en compensant une opération réelle par une opération «barils-papier» inverse, aux mêmes conditions. Un trader, par exemple, achète une cargaison de pétrole et, dans le même temps, vend l'équivalent de «barils-papier» sur le marché à terme.
Si le prix du brut a chuté et que le trader perd de l'argent à la revente du pétrole physique, il rachète le «pétrole papier» moins cher qu'il ne l'a vendu et réalise un bénéfice qui compense la perte subie sur le marché réel. Ces opérations sont en fait principalement spéculatives, avec un double effet de levier. Chaque contrat dérivé est une mise sur 1000 barils de pétrole.
Or plus de 100 millions de ces contrats dérivés sur le pétrole ont été négociés en 2004, soit l’équivalent de 100 milliards de barils. Une étude de la revue économique et politique américaine Executive Intelligence Review a établi que pour 570 barils papier sur l'IPE, correspond un seul baril de pétrole réel. Autrement dit, ce sont ces 570 contrats fictifs qui déterminent le prix de ce baril.


Un cartel surpuissant

Et ce n'est pas tout. Sur l'IPE, un trader peut acheter un contrat en misant seulement 3,8% de sa valeur. Ainsi, pour obtenir un contrat représentant 1000 barils, à 50 dollars le baril, un trader n'aura qu'à débourser 1900 dollars, c'est-à-dire 3,8% de 50 000 dollars. Nous sommes ainsi bien éloignés de la production physique de pétrole. A tel point que le Brent, par exemple, qui détermine le prix d'environ 60% de la production mondiale, représente aujourd'hui moins de 0,5% de la production physique réelle.
L'industrie pétrolière n'a pas que des outils spéculatifs à sa disposition. Au cours des vingt dernières années, elle n’a pratiquement plus investi dans le raffinage aux Etats-Unis, la capacité totale étant même tombée de 18 millions de barils par jour au début des années 80 à 16 millions en 2004, alors que l’on savait que la demande de produits raffinés allait augmenter. Or une capacité réduite fait monter les prix. Le Financial Times (1er juin 2005) estimait que grâce à cette baisse de capacité, les entreprises de raffineries américaines, comme Valero, Premcor, Tesoro et Ashland, gagnaient désormais 10 dollars de plus par baril raffiné.
Deux autres phénomènes ont joué un rôle clé dans cette dynamique de flambée des prix. D'abord, on ne peut s'empêcher de constater une relation entre la hausse des cours du pétrole et les fusions-acquisitions qui ont marqué ce secteur à la fin des années 90. En août 1998, alors que l'or noir était au plus bas, à environ 12 dollars le baril, BP lançait une OPE sur Amoco, créant le troisième groupe pétrolier mondial.
En novembre de cette même année, Exxon, le numéro deux mondial, ravissait à Shell la première place en rachetant Mobil. Au même moment, Total absorbait Petrofina pour acquérir ensuite, au début de 2000, Elf Aquitaine. Ces trois fusions, ainsi que l'achat de Texaco par Chevron en octobre 2000, se sont traduites par un renforcement considérable de la puissance du cartel pétrolier.


Et voici les hedge funds


Autre phénomène, le développement des hedge funds a accentué le caractère spéculatif du marché spéculatif. Dans la revue australienne Business Review Weekly (31 mars 2005), le banquier d'affaires Gerry van Wyngen soulignait le fait que beaucoup de ces fonds possèdent des capacités d’investissement de plus de 1 milliard de dollars cash, ce qui leur donne un énorme pouvoir sur le marché du pétrole.
Personne ne sait combien de pétrole est contrôlé par les hedge funds, ni par les autres investisseurs et spéculateurs. «Mais, souligne-t-il, il s'agit clairement d'une quantité importante, et les effets sur les prix sont considérables». Si l'OPEP décide par exemple d’accroître sa production de 500 000 barils par jour afin de faire baisser les prix, il est alors facile pour les spéculateurs d'acheter ce surplus sur le marché pour 30 millions de dollars, réduisant à néant les effets stabilisateurs des prix de cette capacité supplémentaire.
La situation est-elle désespérée? «Avec des prix pareils, nous nous attendions à une vague d’investissements dans de nouvelles capacités de production et de raffinage», soulignait le directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Claude Mandil. Il a profité du 6e Sommet pétrolier international, à Paris, pour appeler les pays producteurs et les grandes compagnies à accroître leurs investissements pour consolider les futures capacités d’or noir.
Or les milieux interpellés ont botté cette proposition en touche: «Derrière les discours convenus, l’OPEP qui n’a plus de bande de fluctuation, et les compagnies qui engrangent des bénéfices records, ne sont pas mécontents d’une situation de prix durablement tendus». CQFD.


Les signaux de revirement s’accumulent. Annoncée comme moribonde après la décision des Belges et des Allemands de lui tourner le dos, l’énergie nucléaire reprend aujourd’hui du poil de la bête. A l’image du président Bush qui, lors de la visite très médiatisée d’une centrale, insistait récemment sur les avantages économiques et écologiques de l’atome. .


Dans les deux pays européens qui avait adopté par référendum la sortie du nucléaire, l’opinion publique s’est retournée: fortement en Suède, avec des taux d’opinions favorables de l’ordre de 60%, plus timidement en Italie, où 54% de la population seraient désormais favorables à l’utilisation de l’atome pour produire de l’électricité.
Mais c’est dans le monde en développement que le virage est le plus marqué. L’Afrique du Sud, la Chine, le Brésil ou l’Iran manifestent leur volonté de recourir massivement à la technologie nucléaire. La Chine envisage de lancer la construction de deux à trois nouvelles centrales par année d’ici à 2020, puis d’accélérer ce rythme au cours des décennies suivantes.
Dans quelle mesure la Suisse est-elle concernée par cette nouvelle donne énergétique?
Une question d’autant plus urgente que notre statut de grand exportateur d’énergie électrique a fait long feu. Pour la première fois depuis 60 ans au moins, notre pays sera globalement déficitaire en électricité au cours de 2005. La panne prolongée de notre plus grande centrale électrique (Leibstadt) se traduira par une perte sèche de près de 4 milliards de kilowattheures.
Sans les droits de tirage acquis dans des ouvrages nucléaires françaises, notre comptabilité énergétique ferait bien plus mauvaise figure encore. C’est un signal très clair de la fragilisation de notre approvisionnement. Nous pourrions manquer durablement de courant à partir de 2015 déjà. Car la consommation, elle, continue d’augmenter d’année en année de 1% à 2% au moins.
Que faire? Sauf à vouloir nous mettre encore davantage sous la coupe des agents fossiles, la sécurité d’approvisionnement future en matière d’électricité passe par le nucléaire. Il faut sans tarder préparer l’avenir avec la planification d’une ou deux grandes centrales modernes. A l’exemple des Finlandais qui ont opté pour le prometteur EPR franco-allemand.

< Retour à la liste des lettres