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Octobre 2002

Après
des années d'hésitations et de recherches,
on aperçoit le bout du tunnel. Plusieurs pays
ont construit des dépôts. D'autres ont
choisi des sites de stockage : on sait désormais
gérer les déchets radioactifs issus des
centrales nucléaires. Où en est la Suisse,
après l'échec du projet Wellenberg ?
L'avenir de l'énergie
nucléaire est étroitement lié à
la gestion des déchets radioactifs. Il échoit
aux spécialistes de démontrer que des
moyens existent. Mais il revient aussi aux décideurs
politiques, puis aux citoyens, de faciliter la mise
en uvre des solutions techniques proposées.
Comment gérer les déchets toxi-ques résultant
des activités humaines ? Le plus souvent, on
applique la stratégie D-D : Disperser-Diluer.
C'est le cas pour les gaz de combustion dont
le C02 qui partent librement dans l'atmosphère.
Question de chaleur
Dans le domaine nucléaire, on ap-plique le principe
C-C : Concentrer-Confiner. Les déchets sont isolés,
concentrés, puis confinés par un stockage
à l'abri de la biosphère.
A l'exception de quelques rares gaz à vie courte
qui s'échappent par une haute cheminée
(D-D), toutes les substances radioactives résultant
de l'exploitation d'une centrale nucléaire restent
sous contrôle, de leur naissance jusqu'à
leur stockage final dans un site approprié. Leur
faible volume permet de les soumettre aux traitements
les plus sophistiqués pour les convertir en vue
d'un stockage final.
Ces résidus se présentent sous deux formes
:
les déchets de faible et moyenne activité.
Il s'agit de substances dont les périodes
demi-vies ne dépassent pas, à de
rares traces près, 30 années. La chaleur
qu'ils dégagent est infime et ne joue aucun rôle
pour leur stockage.
les déchets de haute et moyenne activité
à vie longue. C'est essentiellement le combustible
usé, respectivement les produits de fission vitrifiés.
Ils émettent initialement une très forte
chaleur, proportionnelle à la radioactivité,
qui nécessite un stockage intermédiaire
d'une quarantaine d'années au moins dans une
installation de refroidissement, jusqu'à ce que
la chaleur ait suffisamment diminué pour permettre
un stockage final.
Sous surveillance
En Suisse, on prévoit le stockage final de l'ensemble
des déchets dans une formation géologique
profonde. Cette stratégie est suivie par tous
les pays industriels pour les déchets de haute
et moyenne activité à vie longue. On peut
envisager un stockage proche de la surface pour les
résidus de faible activité, la radioactivité
résiduelle de ces substances ne constituant plus
le moindre risque après une période de
stockage relativement brève. Un tel dépôt
en surface doit toutefois faire l'objet d'une surveillance
afin de détecter et neutraliser toute fuite éventuelle,
et de prévenir l'intrusion de personnes non autorisées.
Les déchets radioactifs sont concentrés
(compactage mécanique, filtration, incinération)
et conditionnés sous forme solide en vue de leur
stockage final. La plus grande partie des matériaux
de faible activité est placée dans des
fûts d'acier de 200 litres pour y être enrobés
dans un coulis de ciment. Ces fûts, d'un poids
de 400 à 500 kilos, ne contiennent que 2 à
10 grammes de substances radioactives. Le reste étant
la partie inerte des déchets (corps de filtres,
outils contaminés) et la matrice de ciment.
Roches d'accueil
Le fût en acier ne sert en fait que de coffrage
pour couler le ciment et de protection contre les chocs
en cas de manutention. Il ne joue aucun rôle pour
la sûreté du stockage final. Les produits
de fission du combustible nucléaire (déchets
de haute activité), eux, sont vitrifiés
et placés dans de robustes conteneurs pour leur
stockage final.
La Nagra (Nationale Genossenschaft für die Lagerung
radioaktiver Abfälle), appelée autrefois
Cédra en français (Société
coopérative nationale pour l'entreposage de déchets
radioactifs), a été créée
en 1972 par les exploitants des centrales nucléaires
et la Confédération. Elle a pour mission
d'identifier des sites potentiels, puis de planifier
des dépôts finals pour tous les types de
déchets radioactifs (énergie, médecine,
recherche, industrie) dont la gestion incombe à
la Confédération.
Les études réalisées sur quatre
sites potentiels pour l'accueil des déchets de
faible et moyenne activité n'ont révélé
aucun élément de nature à exclure
l'un ou l'autre d'entre eux. La comparaison des résultats
a toutefois démontré que le massif du
Wellenberg, dans le canton de Nidwald, présentait
des avantages incontestables. Mais ce projet est enterré
après le vote nidwaldien négatif du 22
septembre dernier. Le Conseil fédéral
est aujourd'hui placé face à ses responsabilités.
Les déchets existent. Il faut s'en occuper. Les
premières investigations de la Nagra avaient
révélé l'existence d'au-tres sites
potentiels. Il revient à Berne de favoriser la
mise en uvre d'une solution de remplacement dans
les meilleurs délais. La loi l'exige. Et la protection
des générations futures aussi.
Quant aux déchets de haute activité, la
Nagra a entrepris dès 1982 la réalisation
de sept forages carottés de plus de mille mètres
de profondeur. Elle a procédé à
des levés sismiques et à d'autres investigations
depuis la surface pour étudier le socle cristallin
(granit/gneiss) du nord de la Suisse (cantons d'Argovie,
Zurich et Schaffhouse).
Ces études ont été étendues
à une couche d'argile à opalinus dans
le Weinland (vignoble) zurichois où, après
une campagne sismique, un forage de mille mètres
de profondeur a été réalisé
dans la commune de Benken. Cette région présente
d'excellentes caractéristiques, qui devront être
toutefois confirmées par des analyses plus pointues.
En raison du retard pris dans la réalisation
d'un dépôt final pour les déchets
faiblement et moyennement actifs, ainsi que du retour
en Suisse des déchets de haute activité
issus du retraitement du combustible en France et en
Angleterre, il a fallu construire un dépôt
intermédiaire en surface pour tous les types
de déchets. Cet ouvrage, appelé Zwilag,
a été aménagé à Würenlingen
(Argovie).
Caractérisés par des volumes relativement
importants et par une radioactivité réduite,
les résidus faiblement et moyennement actifs
devront être stockés en Suisse dans un
site approprié. Pour les déchets de haute
et moyenne activité à vie longue, la situation
est différente : les volumes sont faibles et
la radioactivité élevée. Etant
donné la nécessité de les laisser
refroidir en surface, leur stockage dans un dépôt
final n'interviendra que dans quelques décennies.
Le bon sens voudrait que l'on ne réalise qu'un
nombre limité de dépôts pour l'ensemble
des déchets de haute et de moyenne activité
à vie longue d'Europe. C'est pourquoi la Suisse
poursuit ses travaux de recherches pour identifier un
site national de stockage, tout en laissant la porte
ouverte à une alternative européenne.
Triple protection
Un mur de béton de deux mètres d'épaisseur
environ suffit à assurer la protection du personnel
d'exploitation d'un réacteur nucléaire.
C'est dire si le stockage des déchets dans des
formations géologiques profondes ne présente,
pour les êtres vivants, aucun risque par rayonnement
direct. Il faudra en revanche s'assurer que des fuites
éventuelles de substances radioactives, susceptibles
d'aboutir dans la biosphère, restent limitées
à un niveau sans danger pour l'homme et la nature.
Une première protection contre le risque de fuite
réside dans le conditionnement des déchets.
Une autre protection est constituée par le remplissage
des espaces vides des galeries avec du ciment ou de
la bentonite, ainsi que par le revêtement de béton
des galeries. Troisième barrière : le
massif rocheux, qui assure la rétention des matériaux
radioactifs.
Seule une infiltration d'eau pourrait entraîner
des substances radioactives hors du dépôt,
par mise en solution de certaines substances ou par
enlèvement mécanique. Il faut donc s'assurer
que la roche d'accueil soit aussi imperméable
que possible. Elle doit présenter une capacité
de rétention suffisante pour retarder une éventuelle
infiltration jusqu'à la biosphère après
que les matériaux aient perdu l'essentiel de
leur activité.
Le facteur temps
On voit que le temps joue en faveur de la sûreté
du stockage final de déchets radioactifs. Ce
qui constitue un avantage considérable en comparaison
de l'élimination de certains résidus chimiques
dont la toxicité perdure indéfiniment
(métaux lourds notamment).
Comment, une fois stockés, ces déchets
se comporteront-ils au cours de milliers, voire de dizaines
de milliers d'années ? Pour répondre à
cette question, des spécialistes réalisent
de nom-breux essais en laboratoire et sur sites. Ils
ont aussi élaboré des modèles mathématiques
pour décrire les phénomènes défavorables
qui pourraient se développer au cours du temps.
Ces modèles sont vérifiés par l'étude
de phénomènes géologiques réels
qui se sont déroulés au cours de centaines
de milliers d'années dans diverses parties du
globe. Pour qu'un site potentiel puisse être déclaré
apte à accueillir un dépôt final,
il faut démontrer que pour tous les scénarios
potentiels (nouvelle glaciation avec érosion,
instauration d'un climat aride ou tropical), la quantité
de radionucléïdes susceptibles d'atteindre
la biosphère ne pourra en aucun cas constituer
une menace pour l'homme et la nature.
A l'étranger
aussi

Des dépôts finals pour déchets
de faible activité, proches de la surface,
sont en service en France (depuis 1969), en Espagne
(1992) ou au Japon (1992). Quant aux sites de
stockage aménagés en profondeur,
à l'exemple du projet suisse, on en trouve
en Suède (depuis 1988) et en Finlande (1992).
Un dépôt géologique final
pour déchets d'origine militaire est en
service aux Etats-Unis depuis 1999. Et le gouvernement
américain vient de décider de construire
un site d'accueil pour les déchets civils
dans le Yucca Mountain (Etat du Nevada), où
un vaste programme d'études géologiques
est en cours depuis de nombreuses années.
La Finlande, elle, aménagera un dépôt
final dans la région de Olkiluoto.
Les études et recherches de sites adéquats
se poursuivent dans la majorité des pays
qui exploitent des installations nucléaires.
Les petites quantités de déchets
produites et la possibilité de les garder
sans problème sur des sites provisoires
laissent suffisamment de temps pour trouver des
solutions satisfaisantes. De fait, la gestion
des déchets nucléaires est totalement
sous contrôle.
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