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Décembre 1993
Les révélations
de Norman Schwarzkopf

Quel rapport
y a-t-il entre la guerre du Golfe et les nouvelles initiatives
sur l'énergie en Suisse? A première vue
aucun. Et pourtant! Oublions pour une fois les lieux
communs. Avec un peu de recul et de discernement, on
constate que l'énergie est un formidable instrument
de manipulation et de domination. Chez nous comme ailleurs,
les nouveaux pouvoirs s'articulent autour des barils
et des kilowattheures.
Ceux qui croient encore que les Américains ont
déclenché la guerre du Golfe pour sauver
le petit Koweït des griffes du grand méchant
Saddam seraient bien avisés de lire l'autobiographie
de Norman Schwarzkopf. Le pétulant général
y annonce noir sur blanc le motif réel de cette
intervention: le pétrole.
On y apprend la création, en 1983, d'un important
organisme militaire sous le nom de Central Command.
Ce dispositif avait pour mission de coordonner la présence
américaine au Proche-Orient. En fait, son principal
objectif était d'empêcher l'Union soviétique
de s'emparer des champs pétrolifères iraniens.
Le cas échéant, plusieurs divisions de
marines devaient être parachutées dans
les zones montagneuses du nord de l'Iran.
Autrement dit, les Etats-Unis avaient délibérément
pris l'option d'exposer leurs meilleures troupes aux
portes mêmes de l'URSS, avec le risque de déclenchement
de la Troisième Guerre mondiale, pour sauver
quelques puits de pétrole. Voilà qui en
dit long sur le rôle de l'énergie dans
les équilibres géopolitiques mondiaux.
La conviction du général est faite: "Il
n'y a pas, dit-il, de région plus importante
au monde". A ses collègues du Pentagone
davantage intéressés par l'évolution
du côté de l'Extrême-Orient, il s'écrie
un jour: "Dieu du ciel, qu'aurons-nous à
faire du Pacifique sans le pétrole du Proche-Orient
?". Il est vrai que Norman Schwarzkopf a fait ses
comptes. Il avait notamment découvert que les
importations de pétrole des Etats-Unis en provenance
de la zone du Golfe correspondent aux deux tiers de
la consommation du Japon et à 30 % de celle d'Europe
occidentale. "Cette région abrite 65% des
réserves mondiales. Au rythme d'extraction actuel,
elle fournira du pétrole pendant deux cents ans
au moins", écrit-il dans ses Mémoires.
Autre sujet de préoccupation de Washington: les
ressources pétrolières des Etats-Unis
économiquement exploitables seront épuisées
dans une vingtaine d'années. "Dans l'hypothèse
qu'aucune source de substitution ne soit disponible
d'ici là (aveu candide que l'on a tiré
un trait sur le nucléaire dans certaines sphères
de l'establishment américain), les Etats-Unis
dépendront alors entièrement du Proche-Orient",
souligne Schwarzkopf. Et de conclure que "les pays
industriels amis d'aujourd'hui - Japon, Grande-Bretagne,
France et Allemagne - deviendront alors des concurrents
féroces".
Les chancelleries européennes seraient bien avisées
de prendre l'avertissement très au sérieux.
On mesure mieux, à la lumière de ce propos,
le risque économique et politique qui consiste
à maintenir un approvisionnement énergétique
basé sur le pétrole. Nul doute que, le
moment venu, la France et le Japon se retrouveront dans
une position privilégiée grâce à
leur ambitieux programme nucléaire.
Tout le monde n'a pas l'aplomb et la franchise du vainqueur
de la guerre du Golfe. Dans le domaine de l'énergie,
les acteurs avancent masqués. Les discours angéliques
sur la sauvegarde de la planète, sur la lutte
contre la pauvreté et les déséquilibres
économiques cachent une réalité
beaucoup plus prosaïque.
La Suisse n'échappe pas à ce phénomène.
Sous le couvert de la controverse énergétique,
on assiste dans notre pays depuis une quinzaine d'années
à une redistribution du pouvoir. Grâce
à d'importants moyens financiers mis au service
d'une stratégie limpide, des associations dépourvues
de toute légitimité démocratique
se sont solidement installées dans nos institutions.
Comprenant tout l'intérêt qu'ils pouvaient
tirer des droits de référendum, ces groupements
exercent une pression constante sur la vie économique
et politique du pays. A force de lancer des initiatives
fédérales et cantonales teintées
d'écologisme, ils ont tout naturellement obtenu
la multiplication des lois et des réglementations
qui restreignent la liberté d'entreprise.
Résultat: des sociétés désireuses
de s'agrandir ou d'implanter de nouvelles installations
traitent aujourd'hui directement avec les associations
écologistes pour s'épargner les procédures
d'opposition. L'obligation faite par le Tribunal fédéral
à l'EOS de s'entendre avec le WWF pour la réalisation
de Cleuson-Dixence en dit long sur la dérive
de l'Etat de droit.
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