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Avril 1992
L'acharnement contre les
énergies non fossiles

Après
avoir obtenu le blocage du nucléaire à
son niveau actuel, les écologistes suisses se
lancent aujourd'hui à l'assaut de la force hydraulique.
Affirmant vouloir sauver les derniers cours d'eau naturels,
ils visent en fait le principal pilier de notre approvisionnement
en électricité. Que recouvrent l'initiative
et la loi hydraulique sur lesquelles nous voterons le
17 mai prochain?
La notion prosaïque de "débits minimaux"
est au cur de la controverse. Il s'agit des quantités
d'eau qui doivent être maintenues en permanence
tout au long des rivières. Disons, pour simplifier,
que plus ces débits sont élevés,
moins on peut produire d'électricité.
Quelles seraient, en cas d'acceptation de l'initiative
ou de la loi, les pertes de production d'énergie
résultant de l'augmentation des débits
minimaux? L'initiative, formulée en termes généraux,
ne donne pas de chiffres précis à cet
égard. Ce qui, à première vue,
autorise toutes les interprétations. Les écologistes
n'ont eux-mêmes pas les idées très
claires à ce sujet. Ils annoncèrent tout
d'abord des pertes de 1 à 2%. Aux dernières
nouvelles, ils parlaient de 15%.
Que dit l'initiative? Elle stipule, entre autres, que
"Les eaux et leurs secteurs naturels feront l'objet
d'une protection intégrale". Autre exigence,
décisive pour la production d'énergie:
le maintien d'un débit suffisant pour "assurer
la sauvegarde des biocénoses locales ( ... )
et la reproduction naturelle de la faune" (une
biocénose est une association d'animaux et de
végétaux vivant en équilibre dans
un milieu naturel donné).
A partir de quelles quantités un débit
est-il suffisant pour satisfaire cette double exigence
sur la totalité des cours d'eau, y compris sur
des tronçons qui n'avaient jamais abrité
des biocénoses parce que trop abrupts ou trop
pierreux, ou parce qu'ils manquent régulièrement
d'eau en été ou en hiver?
Seuls des experts dans les domaines de la faune et de
la flore des rivières étaient capables
de répondre clairement à cette question.
Aussi l'Office fédéral de l'environnement
a-t-il sollicité l'avis de trois spécialistes:
MM. Bundi, Eichenberger et Hainard. Leurs expertises
(études BEH) sont incontournables parce qu'elles
serviraient de référence en cas de mise
en application de l'initiative par la Confédération.
En avril 1991, le bureau d'ingénieurs Electrowatt
était chargé par l'Association suisse
pour l'aménagement des eaux d'estimer l'ampleur
des pertes d'électricité qui résulteraient
de l'acceptation de l'initiative. S'appuyant sur les
BEH, il a évalué les effets de l'initiative
sur 93 grandes centrales qui couvrent à elles
seules près de la production hydraulique du pays.
Conclusion: l'application de l'initiative entrainera
des pertes de production de l'ordre de 8 milliards de
kilowattheures par année. Il s'agit du quart
de la capacité totale du pays. Et ce sont là
les pertes minimales. D'autres calculs, toujours
basés sur les études BEH, font apparaître
des valeurs sensiblement supérieures pour certains
cantons. A l'exemple du Valais, grand pourvoyeur d'électricité
hydraulique du pays, où les pertes pourraient
monter jusqu'à 28%.
Outre le lancinant problème de l'approvisionnement
énergétique, l'acceptation de l'initiative
aurait des conséquences financières désastreuses
pour notre petit pays. Il y a d'abord la clause qui
exige le dédommagement des propriétaires
des centrales pour pertes de droits de prélèvement.
L'étude Electrowatt chiffre le montant de ces
indemnités à 16 milliards de francs qui
seront en fin de compte prélevés dans
le porte-monnaie des contribuables.
Et cette somme ne tient pas compte des manques à
gagner des cantons producteurs, ni des pertes de redevances
hydrauliques. De plus, il en coûtera à
la Suisse plus de 500 millions de francs par an pour
remplacer les 8 milliards de kilowattheures perdus.
Et la loi? A première vue, elle présente
une différence essentielle par rapport à
l'initiative: les nouveaux débits minimaux ne
seront appliqués que lors du renouvellement
des concessions des centrales. Aussi les pertes de production
s'échelonneront-elles en principe jusque dans
la deuxième moitié du siècle prochain.
C'est du moins ce qu'une lecture superficielle de la
loi permet de penser. Or il n'en est rien: l'article
75 (al. 5) stipule que "Les installations qui sont
agrandies ou remises en état sont considérées
comme de nouvelles installations".
Cette petite phrase est lourde de sens, car les centrales
hydrauliques font l'objet de travaux d'entretien tous
les dix à quinze ans en moyenne. Autrement
dit, les nouveaux débits minimaux entreront en
vigueur bien avant les échéances normales
de concession. Résultat: les pertes de production
prévues de 10 à 15% seront effectives
non pas en l'an 2050 ou 2070, mais à partir de
2010 déjà.
Nos rivières sont-elles surexploitées,
comme l'affirment les partisans de l'initiative et de
la loi? La Suisse, rappelons-le, est le château
d'eau de l'Europe. Nos ressources hydrauliques nous
permettraient de produire près de 150 milliards
de kilowattheures par an. Avec une production effective
de 32 milliards de kWh (1991), on est donc très
loin du compte. C'est dire que seulement 22% de
nos cours d'eau sont exploités à des fins
énergétiques, et non pas 90% comme le
prétendent les écologistes.
L'argument de l'assèchement des rivières
par les centrales est tout aussi ridicule. Il y avait
au début de ce siècle plus de 7000 aménagements
hydrauliques dans notre pays. Aujourd'hui, il y en a
moins de 1500. Et ils sont particulièrement bien
intégrés dans le paysage. Ces ouvrages
créent des zones tranquilles qui favorisent le
développement de la faune et de la flore. Ils
répondent à des exigences en matière
d'intégration et d'exploitation parmi les plus
sévères au monde.
En Allemagne, les Verts ont proposé au Parlement
de développer le recours à la force hydraulique
dans le cadre d'une politique systématique de
réaménagement des cours d'eau. En Suisse,
ils ont lancé une initiative et soutiennent une
loi qui auront pour effet de réduire considérablement
la production d'hydroélectricité.
Ce qui a fait dire au président de l'Association
suisse des exploitants de, petites centrales: "C'est
ahurissant! Au nom de l'écologie, on attaque
la plus écologique de nos énergies".
(le 17 mai 1992, le peuple suisse a rejeté
l'initiative et accepté le projet de loi sur
l'énergie hydraulique).
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