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Mai 2007
Pénurie d'énergie:
La Suisse, à limage de lEurope, sest récemment réveillée avec une lourde épée de Damoclès au-dessus de son territoire: la menace dune prochaine pénurie dénergie électrique. Il va bientôt manquer au pays des milliards de kilowattheures. Le temps dagir est venu.
La dernière grande centrale du pays a été mise en service en 1984. Entre-temps, la consommation a augmenté de 45%. La Suisse a tenu le coup grâce au parc nucléaire français, sur lequel elle possède des droits de tirage. Mais cet appoint va progressivement disparaître à partir de 2012 environ, dautant plus que la France voit fondre ses réserves elle aussi.
Vers 2020, nos besoins auront augmenté dau moins 30%. Sait-on ce que signifie, pour un pays industriel, le fait de manquer délectricité? Même sil est déjà très, très tard, il faut de toute urgence donner aux entreprises électriques qui en ont lambition les moyens de mettre en chantier sans délai les futures centrales nécessaires.
A cet égard, le petit jeu qui consiste à opposer le gaz au nucléaire relève de lobstruction. Ces deux sources sont complémentaires. La solution? Deux nouvelles grandes centrales nucléaires sur les sites existants en Suisse alémanique, et des ouvrages à gaz, en Suisse romande notamment, pour combler dans lintervalle les manques prévisibles de ces prochaines années.
Encore faut-il créer les conditions nécessaires à la construction des ouvrages nécessaires. Or les projets de centrales à gaz de Chavalon et de Cornaux, parmi dautres, sont mis en péril par les décisions des Chambres fédérales en matière de compensation des émissions de CO2. Un péril qui sajoute à linertie que nous navons cessé de conjurer dans la présente Lettre de lénergie depuis une dizaine dannées au moins.
Les marchands dillusion

Car malgré les signes annonciateurs des risques à venir clairement perceptibles depuis les années 90 déjà, le pays sest laissé bercer par le discours angélique du «yaka». «Yaka faire du renouvelable!» a-t-on notamment clamé tous azimuts. Il existe un potentiel réel de développement de ces sources de substitution, mais essentiellement dans le domaine du chauffage, où le solaire thermique a une belle carte à jouer. Mais il faut se garder de tout excès dillusion dans le domaine de lélectricité.
Pour le grand public, aujourdhui, la notion de renouvelable recouvre essentiellement les énergies éolienne et solaire photovoltaïque. Ces dernières ont fait lobjet dun formidable effort promotionnel. A elle seule, la Confédération y a investi près dun milliard de francs au cours des vingt dernières années.
Ce chiffre peut être doublé si on y ajoute la recherche privée et les diverses formes dencouragement et de subvention des cantons et communes. Or, malgré cette extrême et coûteuse sollicitude, le vent et le soleil, ensemble, couvrent aujourdhui tout juste 0,05% (ce nest pas une faute de frappe: il sagit bien dun demi pour mille) de la consommation délectricité. A comparer aux 1% à 2% de hausse annuelle de la demande.
«Yaka économiser!» renchérissent les adversaires de latome. Il est vrai qu'il subsiste un important potentiel d'économies d'énergie, mais pas dans l'électricité. Celle-ci ne représente que 24% environ de l'énergie finale en Suisse, alors même qu'elle est partout présente et relativement chère. Cette part plutôt modeste démontre que lénergie électrique est d'ores et déjà utilisée avec parcimonie, notamment dans l'économie.
Linflation des «yaka»

La seule possibilité denrayer la hausse de la demande en électricité consisterait à instaurer des contraintes chez les particuliers: un seul téléviseur et ordinateur par ménage, interdiction des équipements «stand-by» et des chauffages dappoint, et autres mesures du même acabit. Bref, un régime d'austérité imposé, totalement inconcevable dans un pays démocratique.
A quoi s'ajoute le fait que les appareils électroménagers consomment aujourd'hui un multiple de kilowattheures en moins qu'il y a 20 ou 30 ans. L'effort d'économie a déjà été fait dans ce domaine et les marges de progression sont de plus en plus ténues. Le véritable potentiel d'économies réside dans les transports individuels et le chauffage, avec la mise en oeuvre des nouvelles technologies de construction et d'isolation (Minergie) et les soutiens publics aux travaux de rénovation (Centime climatique). Il y a dans ce secteur un vaste terrain à défricher.
Le «yaka» le plus sidérant émane du parti socialiste qui propose, ni plus ni moins, de remplacer dici à 2020 les réacteurs suisses en bout de vie par 1200 éoliennes géantes implantées en mer du Nord. On ignore si les riverains allemands ou danois, dont les côtes les plus favorables sont dores et déjà hérissées de grandes hélices, ont été consultés sur ce projet. Un projet qui ne précise pas davantage comment lon construira les mille kilomètres de lignes de transport nécessaires, alors même que le réseau européen interconnecté est saturé et que les pays ont toutes les peines du monde à réaliser des projets de lignes portant sur quelques dizaines de kilomètres seulement.
Relance nucléaire

Aujourdhui, les regards se tournent vers la branche. Comment les entreprises électriques, engagées en première ligne sur ce délicat dossier, entendent-elles écarter les menaces à venir? La stratégie définie par Swisselectric, lassociation faîtière des grandes sociétés suprarégionales, tient en un mot: «mix dapprovisionnement». Un néologisme qui recouvre laddition de six mesures complémentaires: stabilisation de la demande, reconduction des contrats dimportation, encouragement des nouvelles sources renouvelables, optimisation de la force hydraulique, construction de centrales à gaz, nouvelles installations nucléaires.
Le succès ou léchec de cette stratégie, que le Conseil fédéral a entre-temps fait sienne, découlera en particulier des deux derniers points. La Suisse est un pays industriel dont lessor suppose un approvisionnement planifiable, régulier et stable, qui ne soit pas à la merci des taux densoleillement ou de la vitesse des vents. Cest dire limportance dune production nucléaire en ruban, qui passe par le renouvellement et lextension du parc existant. Il sagira de construire des réacteurs plus sûrs et plus puissants, qui pourraient être aménagés sur les sites existants.
Mais cette relance de latome exigera une quinzaine dannées au moins. Dans lintervalle, le gaz naturel pourrait apporter une contribution irremplaçable à la sécurité dapprovisionnement avec, dans un premier temps, la réhabilitation de lancienne centrale à mazout de Chavalon, dans la plaine du Rhône. Moyennant un investissement de 380 millions de francs, cet ouvrage pourrait produire dès 2010 près de 2,2 milliards de kilowattheures par année, de quoi couvrir lentier des besoins des ménages de Vaud et de Genève.
Responsabilité romande

La Suisse romande doit sengager elle aussi concrètement dans la lutte contre les risques de pénurie. Ne disposant pas de sites susceptibles dabriter une installation nucléaire, elle devra se mobiliser en faveur des projets gaziers de Chavalon et de Cornaux, voire dautres ouvrages le cas échéant. Cest une question de responsabilité et de solidarité.
Plusieurs projets de grandes centrales à gaz sont à létude dans le pays. Leur réalisation passe par un gros effort dexplication en matière de CO2. Lobstacle nest pas insurmontable, dautant plus que la Suisse, grâce à lhydraulique et au nucléaire, produit un kilowattheure pratiquement exempt de gaz carbonique. A quoi sajoute le fait que les émissions des centrales à gaz devront être entièrement compensées par des mesures en Suisse et à létranger.
Mais la décision du Parlement, qui prévoit la compensation de 70% des émissions de CO2 sur le territoire helvétique, remet en cause la viabilité économique de ces projets. Une telle décision prétérite la compétitivité de lélectricité produite en Suisse par rapport à celle des pays voisins, comme la France ou lAllemagne, dans lesquels les nouvelles centrales électriques à gaz sont exonérées de taxes pendant au moins dix ans. Espérons que les autorités fédérales sauront assouplir les modalités de ces compensations afin d'assurer l'approvisionnement en électricité du pays.
Le «mix dapprovisionnement» est une stratégie à long terme. Une fois les nouveaux ouvrages nucléaires en service, les centrales à gaz pourront être affectées à la production de pointe en complément des barrages alpins, ce qui renforcera la position de la Suisse sur le marché européen. Il y a là de toute évidence une très belle carte à jouer.

Il ny a pas de solution parfaite. Tout choix énergétique présente ses avantages et ses inconvénients. Les centrales électriques à gaz, on le sait, émettent du CO2. Or aujourdhui, la Suisse est le pays le plus propre dEurope dans ce domaine. Et même avec trois grandes centrales de type Chavalon, les émissions résultant de la production délectricité ne dépasseront pas, dans notre pays, 48 grammes de CO2 par kilowattheure de courant produit. Cest sept fois moins que la moyenne européenne (350 grammes/kWh), voire dix fois moins quen Allemagne (500 grammes/kWh). Autrement dit, même avec une production gazière mesurée, la Suisse conservera une position enviable en termes de protection de lenvironnement.
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