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Février 1996
Le miroir aux alouettes
danois

Portons pour
une fois nos regards vers le Nord. Il s'y passe des
choses qui ne sont pas inintéressantes à
observer, à plus forte raison pour une Suisse
qui s'apprête à subir de nouveaux assauts
contre l'atome dans le sillage de la seconde mi-temps
du moratoire. Ainsi le Danemark, souvent présenté
dans nos médias comme le paradis des énergies
douces. Ou la Suède, confrontée à
l'obligation de fermer ses centrales nucléaires.
Edifiant.
Or donc, voici le Danemark érigé en modèle
de gestion énergétique. Le petit royaume
nordique dresse des centaines de grandes éoliennes
qui fournissent des kilowattheures d'appoint quand les
vents soufflent avec suffisamment de force. On y taxe
les émissions de gaz carbonique et on y conduit
de bruyantes campagnes de sensibilisation pour économiser
l'énergie.
Cette belle image d'une nation à la pointe du
progrès écologique souffre toutefois de
quelques petites imperfections que l'on s'efforce de
balayer sous le tapis. A commencer par le fait que le
Danemark couvre plus de 90% de ses besoins énergétiques
au moyen de combustibles fossiles. Même l'électricité
y est essentiellement tirée du pétrole
et du charbon.
Or ce pays se glorifie de s'être passé
de nucléaire, qui aurait été pourtant
le seule moyen de réduire de manière importante
les rejets massifs de C02 que génère sa
consommation énergétique. En réalité,
le Danemark figure parmi les plus grands pollueurs de
l'air du continent: les émissions de gaz carbonique
par habitant y sont deux plus fois plus élevées
qu'en Suisse ou en France.
Comment expliquer alors l'engouement des écologistes
helvétiques pour la politique énergétique
de ce pays? Un élément de réponse
réside peut-être dans le dernier scénario
d'abandon du nucléaire en Suisse, présenté
récemment par le collectif CAN, et qui préconise
pour la première fois ouvertement le remplacement
de l'atome par des installations à combustible
fossile.
Et si c'était ça, l'objectif réel
des grandes associations écologistes, c'est-à-dire
la restitution du marché énergétique
mondial aux agents fossiles? En quelque sorte un retour
au 19e siècle? Une question, pour le moins, qui
mérite d'être posée. Mais qui ose
la poser?
Dans son rôle de grand producteur de C02, le Danemark
pourrait être bientôt rejoint par la Suède
si celle-ci persiste a vouloir fermer ses douze centrales
nucléaires d'ici à 2010, conformément
à la décision prise par référendum
en 1980. Or il ne fait aujourd'hui plus de doute pour
personne que cette production perdue ne pourra être
remplacée que par un recours massif à
des combustibles fossiles.
Ce constat gêne de plus en plus de monde. Même
le roi Carl Gustav, pourtant astreint à un devoir
de réserve, a évoqué la question
à l'occasion de ses vux de Noël. Il
s'est prononcé contre le démantèlement
des réacteurs, à la grande fureur du parti
des Verts: "Si nous voulons sauvegarder notre niveau
de protection sociale et un environnement sain, il sera
très difficile de liquider l'énergie nucléaire".
Se refusant à utiliser les quatre dernières
rivières naturelles pour produire de l'hydroélectricité,
le monarque a voulu mettre ses concitoyens en face de
leurs responsabilités: l'atome ou la fin de la
Suède industrielle. Un avis désormais
partagé par la majorité du peuple puisque,
dans un sondage réalisé au mois de décembre,
59% des personnes interrogées se déclaraient
favorables au maintien des réacteurs après
2010.
La position des antinucléaires suédois
a été aussi fragilisée par la météo,
qui a mis en pièces le mythe de l'électricité
surabondante et facilement disponible, mythe en vertu
duquel une bonne gestion des moyens existants et des
mesures d'économies permettraient de se passer
du nucléaire. En fait, non seulement ces centrales
sont indispensables, mais elles ne suffisent plus. Le
quotidien Svenska Dagbladet l'a souligné
en évoquant l'achat d'électricité
d'origine nucléaire à la Russie.
Avant même la reprise de l'activité industrielle
au lendemain des fêtes de fin d'année,
la Suède a dû importer près de 10%
de ses besoins de courant à l'Est au moyen d'un
câble tiré entre Saint-Pétersbourg
et Viborg, en Finlande. Durant la première semaine
de janvier, onze des douze réacteurs suédois
tournaient au maximum de leur capacité. Il aurait
suffi d'une panne sur une seule de ces centrales pour
contraindre les autorités à instaurer
un système de coupures partielles.
En fait, la capacité de production totale du
pays est désormais insuffisante pour garantir
la couverture de la consommation pendant les périodes
les plus froides. Certes, les centrales hydrauliques
du nord ont des réserves, mais la capacité
de transport vers le sud, où réside la
quasi-totalité des consommateurs, est limitée.
Cette situation résulte du blocage complet imposé
par les idées écologistes: on ne peut
plus, dans ce pays, construire d'infrastructures de
production ou de transport. Résultat: les Suédois
doivent importer de Russie de l'électricité
produite dans des conditions de sécurité
douteuses, et par ailleurs bien nécessaire, là-bas,
aux Russes eux-mêmes.
Mais on n'est plus à un paradoxe près
dès lors qu'il s'agit de combattre une forme
d'énergie qui, malgré ses atouts écologiques
et économiques incontestables, conserve décidément
de nombreux et puissants ennemis.
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