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Septembre 2003

Approvisionnement en électricité

Canicule persistante, panne spectaculaire en Amérique du Nord : cet été aura été riche en surprises et en enseignements dans la domaine de l'énergie. Il a notamment démontré, si besoin était, que l'approvisionnement en électricité ne s'improvisait pas, mais qu'il devait être planifié à long terme, avec la mise en œuvre de capacités de réserves pour toutes les éventualités.



Globalement, l'économie électrique suisse a tiré son épingle du jeu. La fonte accélérée des glaces a rempli les lacs de retenue. Une aubaine pour l'exportation de courant vers une Europe en situation de pénurie. De fait, la canicule a provoqué une situation paradoxale. En montagne, les turbines ont tourné à plein régime. Grâce à la fonte inhabituelle du glacier de Gorner par exemple, la masse d'eau recueillie dans le lac des Dix (Grande Dixence) a augmenté de 30%.

«Le courant ne se stocke pas !», a notamment rappelé Jacques Rossat, directeur de la société Avenis Trading, filiale du groupe EOS Holding, dont le rôle consiste à gérer de tels excédents de production : «C'était une aubaine dans la mesure où la pénurie européenne a fait grimper les prix de cette électricité de pointe». Au début du mois d'août, dans la tranche horaire 8 - 18 heures, où le courant est le plus cher, le prix du kilowattheure avait pratiquement décuplé en comparaison des tarifs en période normale. Et comme la Suisse fait partie du réseau interconnecté européen, centré principalement sur l'Allemagne, la France et l'Autriche, elle peut pratiquer les prix de ce marché continental avant même d'avoir libéralisé le sien propre.


A feux doux

Outre les échanges internationaux, la surproduction alpine aura permis de compenser les effets négatifs de la sécheresse sur la production des équipements de plaine. Ainsi, en Argovie, près de quinze des vingt-cinq centrales au fil de l'eau installées sur le cours du Rhin, de l'Aare, de la Reuss et de la Limmat, ont tourné au ralenti, voire pas du tout pendant plusieurs semaines. Il en est résulté, pour ce seul canton, une chute de production moyenne de 57% depuis le début du mois de juin. Les ouvrages nucléaires ont tourné eux aussi à feu doux, à l'image de Beznau, qui a réduit sa production de 15% pour protéger les eaux de l'Aare contre un excès de chaleur.

Le réchauffement accéléré des eaux de refroidissement aura été justement le grand problème des électriciens français. Les milieux écologistes n'ont pas manqué l'occasion de dénoncer les effets négatifs du nucléaire sur la faune et la flore des fleuves, en omettant de préciser que les dérogations relatives à la température des eaux rejetées par les centrales auraient été tout aussi nécessaires si les centrales tournaient au charbon ou au gaz naturel.

Réactivé par les effets de la canicule, le débat sur le climat a permis aux énergéticiens français de rappeler que leur pays était en fait le premier de classe parmi les pays développés, soit celui qui rejette les plus faibles quantités de carbone par unité de PIB. Le Danemark, érigé en modèle par les écologistes, en émet deux fois plus parce que sa production d'électricité, malgré les spectaculaires éoliennes, repose très largement sur les combustibles fossiles.


Hélices en berne

L'énergie éolienne, justement, qui se développe à vive allure dans plusieurs pays d'Europe, n'a pratiquement rien fourni pendant cet été caniculaire sans vent. Les 12 000 mégawatts de puissance installés en Allemagne sont restés purement virtuels tout au long de ces longues semaines. Or c'est avec des éoliennes dressées sur les côtes de la mer du Nord que les milieux antinucléaires suisses voulaient remplacer nos réacteurs en cas d'acceptation des initiatives antiatomiques du 18 mai dernier...

C'est peu dire que l'été a été rude pour les électriciens européens. Mais ils ont tenu bon. L'interconnexion a subi avec succès une véritable épreuve du feu. Tel n'est pas le cas du continent nord-américain, frappé par une panne dont on ne mesure pas encore tous les effets. Que s'est-il passé ?

A première vue, il s'agit d'un phénomène d'écroulement du type «château de cartes», comparable à ce qu'a connu en France le 19 décem-bre 1978, où l'ensemble du pays avait été plongé dans le noir pour la journée. En fait, chaque ligne de transport est soumise à des limites physiques. Une fois ce seuil atteint, le tronçon surchargé est mis automatiquement hors tension pour éviter des dommages matériels. L'électricité qui transitait par cet ouvrage est alors déviée sur d'autres lignes. Ce qui, dans certaines conditions, peut entraîner de nouvelles surcharges et un écroulement complet du réseau, à l'image d'une pile de dominos.


L'appui du voisin

Un réseau performant doit être dimensionné de manière à pouvoir perdre un ouvrage de transport sans mise en péril de l'ensemble du système. Ce qui suppose l'existence de capacités de réserves suffisantes. Des réserves dont la région de New York était de toute évidence dépourvue, ce désormais fameux jeudi noir. On savait de longue date que cette zone manquait d'équipements de transport et de production.

Après cette nouvelle alerte rouge, Américains et Canadiens seraient bien avisés de s'inspirer du modèle européen. Il existe sur le vieux continent une coordination permanente entre les gestionnaires des réseaux nationaux. Ils échangent des informations en direct sur l'état de leurs équipements respectifs. Et les règles établies par l'Union pour la coordination du transport de l'électricité (UCTE) incluent des dispositifs de protection qui permettent de se déconnecter d'un réseau voisin en situation d'urgence.

Un pays pourra toujours compter sur l'aide de ses voisins. Mais en cas de risque excessif, on fait la part du feu et on s'isole. Un tel cas de figure s'était présenté lors des tempêtes de décembre 1999. La France avait perdu quarante lignes, mais qui étaient suffisamment réparties sur le territoire pour que le réseau tienne. Et par mesure d'urgence, la France et l'Espagne avaient découplé leurs réseaux.


Sous-investissement

Il reste qu'en Amérique du Nord, un certain nombre de questions relatives à la panne du 14 août restent entières. Cet accident, dans tous les cas, a confirmé que le réseau américain reposait sur une infrastructure fragile et vieillissante. Pers Peterson, un expert de l'Université de Californie, affirme que la panne pourrait coûter plusieurs dizaines de milliards de dollars. «Une dépense, ajoute-t-il, dont l'économie fera les frais et qui aurait pu être évitée si les investissements nécessaires avaient été engagés au bon moment.»

Son témoignage fait écho à l'avertissement lancé en son temps par le secrétaire à l'Energie de l'administration Clinton : «Nous sommes une superpuissance avec un réseau électrique digne du tiers-monde», avait déclaré Bill Richardson, aujourd'hui gouverneur du Nouveau-Mexique. De son côté, le professeur T.C. Cheng estime que l'une des raisons de cette défaillance réside dans des années de sous-investissement et dans le manque d'entretien du réseau énergétique, alors même que la demande en électricité ne cessait de croître. A son avis, il faudra investir rapidement au moins 56 milliards de dollars pour remettre le réseau électrique en état.

Car les Etats-Unis ont été touchés par cinq ou six pannes de courant majeures au cours des 40 dernières années, dont deux très importantes à New York, en 1965 et 1977. Et il apparaît que la Californie et les Etats de l'Ouest américain, frappés par des coupures à répétition en août 1996, sont encore plus vulnérables que le Nord-Est, qui vient d'être paralysé.

Après les réseaux routiers et ferroviaires, dont certains sont en déliquescence, l'électricité : la superpuissance a décidément mal, très mal, à ses infrastructures vitales.


   
 

L'après 18 mai

L'échec des initiatives antinucléaires, le 18 mai dernier, est aussi celui des sondeurs d'opinion. Ces derniers avaient donné au moins l'un des deux projets très largement gagnant. Au point que les milieux antinucléaires, sûrs de leur fait, ont conduit une campagne relativement molle au regard des scrutins précédents. Cette votation est aussi l'échec des médias qui, pendant des années, ne parlaient de l'atome que pour en dire du mal. Leurs lecteurs ne les ont pas suivis.

Pourquoi ? On ferait bien, dans les rédactions, de se poser la question. Le débat nucléaire a fait rage pendant près de 25 ans. Or la grande majorité de la population ignore toujours comment fonctionne une centrale, quels sont ses avantages et ses inconvénients réels. Il y a du travail à faire dans ce domaine. Car les citoyens de ce pays ont beau avoir rejeté d'une manière on ne peut plus nette les deux initiatives, ils n'en sont pas pour autant entièrement rassurés, sur la question des déchets notamment. Il convient de définir et de mettre en œuvre des solutions dans les meilleurs délais.

Le 18 mai constitue en revanche un sujet de satisfaction pour la Fédération romande pour l'énergie, éditrice de la présente lettre. Nous avons été au cours des vingt dernières années pratiquement le seul contrepoids aux campagnes systématiques de désinformation et de dénigrement contre l'énergie nucléaire en Suisse francophone. Organisation de visites de centrales et de débats publics, publication de brochures, information des élus, interventions auprès des pouvoirs publics : nous n'avons cessé, avec des moyens modestes, de déployer des activités de sensibilisation, mais sans pouvoir en mesurer l'impact réel.

Nous savons, aujourd'hui, que cet effort n'a pas été vain.

 
   

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