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Mai 1984
Les dessous d'une opposition
parfaitement structurée

Le débat
nucléaire se nourrit d'images d'Epinal. L'un
des clichés les plus fréquents en est
le fameux "lobby nucléaire"
que l'on tente de présenter comme tout-puissant,
immensément riche, dominateur, occulte, s'efforçant
d'écraser de paisibles mouvements écologistes.
Ces derniers étant comme chacun sait les croisés
de la "qualité de
la vie", de la sauvegarde des "générations
futures", et dont l'idéalisme est
la seule richesse. Qu'en est-il en réalité?
Les opposants à l'énergie nucléaire
ont réussi à susciter dans les esprits
un amalgame de valeurs positives mises au goût
du jour. Ils prétendent et ont la réputation
d'être prévoyants, humains, critiques,
créatifs, idéalistes, non-violents et
démocrates. Ils sont modestes et ne disposent
d'aucuns supports financiers. Ils jouissent de l'aura
des combattants persécutés par les puissances
économiques anonymes et malfaisantes et méritent
d'être soutenus.
Et on les soutient! Car cette image ainsi magnifiée
par les médias exerce une attraction irrésistible
sur tous ceux qui, dans notre civilisation technologique,
sont las de leur aisance ou impatients de se voir octroyées
les responsabilités et la considération
qui leur sont dues.
De plus, l'image positive de l'écologiste militant
séduit maint politicien en quête de suffrages
dans la mesure où elle lui permet de jouer sans
risque un beau rôle devant une audience bien disposée.
Le courant antinucléaire profite également
à certaines organisations de protection de la
nature qui cherchent à compenser, au moyen de
la peur de l'atome, l'intérêt plutôt
défaillant du grand public à l'endroit
des causes qu'elles défendent.
On y trouve encore des scientifiques qui, n'ayant pas
obtenu une appréciation académique suffisante
à leurs yeux, ou qui ont été privés
de missions de recherches lucratives, ont trouvé
dans leur engagement antinucléaire un terrain
personnellement plus favorable.
Dialogue de sourds
A une époque où les mots ont autant, sinon
davantage de poids que les faits, le mouvement antinucléaire
joue sur du velours. Tel n'est évidemment pas
le cas de ceux qui luttent en faveur de l'énergie
nucléaire. lis doivent en effet se battre sur
deux plans. Premièrement, ils doivent démontrer
que la bonne marche de l'économie est tributaire
d'un approvisionnement sans faille en électricité,
et que la nécessité de remplacer une part
du pétrole, de protéger l'environnement
et de ne pas rater les grands virages technologiques,
passe inévitablement par un accroissement de
la demande en énergie électrique. Etant
entendu que cette demande ne pourra être satisfaite,
pour des raisons techniques, économiques et écologiques,
que par des centrales nucléaires.
Ils doivent ensuite mettre en évidence que les
centrales nucléaires sont aussi sûres,
voire davantage, que d'autres sources d'énergie
bien acceptées, que les exigences élevées
posées par le stockage des déchets pourront
être satisfaites, que le nucléaire n'est
pas contraire aux idéaux écologiques puisqu'il
a le mérite de ne pas polluer l'atmosphère.
D'un côté, les grandes envolées
lyriques et démagogiques, les arrière-pensées
politiques et la méconnaissance de certaines
données économiques fondamentales, de
l'autre la nécessité de préserver
une source d'énergie indispensable dans un pays
pauvre en matières premières et de présenter
des arguments fondés, rationnels, mais pas toujours
conformes aux idées à la mode. On comprend
mieux, dès lors, pourquoi le citoyen moyen a
l'impression d'assister à un dialogue de sourds
et qu'il ne sait plus très bien à quel
saint se vouer dans le domaine de l'énergie.
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