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Que s'est-il réellement
passé à Tchernobyl

L'humour des uns
et des autres


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Bulletin d’actualité énergétique No 64 – le 28 avril 2009
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Que s'est-il réellementpassé à Tchernobyl?

Un réacteur sans enceinte de protection réelle, une équipe de techniciens débarquée de Moscou qui procède à des tests au mépris de toutes les règles de sécurité, plus de vingt années de rumeurs sur les effets sanitaires de l’accident. Il n’est pas inutile, compte tenu des informations contradictoires que suscite chaque anniversaire de l’accident, de reposer la question: que s’est-il passé, ce 26 avril 1986 à Tchernobyl?

La tranche 4 de la centrale de Tchernobyl est un réacteur RBMK de 1000 mégawatts, en service depuis 1983. Le cœur abrite 1681 tubes de force enfermant le combustible, soit 190 tonnes d’oxyde d’uranium enrichi, et un empilement de graphite comme modérateur, le tout refroidi par une circulation d’eau sous pression.

C’est lors d’une expérimentation ordonnée par des techniciens venus de Moscou que tout s’est déclenché. Programmé lors d'un arrêt de routine de la tranche pour maintenance, les 25 et 26 avril, cet essai devait tester le fonctionnement d'un nouveau système de refroidissement de secours du cœur du réacteur.

Voici le rappel de l’engrenage fatal, marqué par une succession ahurissante d’erreurs humaines:

  • 13h00: le réacteur est ramené à mi-puissance sur demande du centre de distribution électrique pour préparer l'essai;
  • 23h00: la réduction de puissance est amplifiée. Des barres de contrôle sont extraites du cœur. La puissance tombe à 30 MW. Cette chute de réactivité a pour effet de déstabiliser le réacteur;
  • 1h15: en violation de toutes les procédures de sécurité, les opérateurs décident de poursuivre l'essai et bloquent les signaux d'arrêt d'urgence. Dès lors, c’est la réaction en chaîne:
  • 1h23 et 4 secondes: les vannes d'admission de la turbine sont fermées, au mépris des procédures d’urgence. La pression de vapeur s’emballe;
  • 1h23 et 21 secondes: les barres de régulation descendent automatiquement, trop tard;
  • 1h23 et 40 secondes: le chef opérateur ordonne l'arrêt d'urgence. Toutes les barres de contrôle sont descendues dans le cœur, mais en vain;
  • 1h23 et 44 secondes: le pic de puissance est atteint.

Dans le cœur, les crayons de combustible se fragmentent. Les pastilles d'oxyde d'uranium, surchauffées, explosent et provoquent une déflagration qui soulève la dalle supérieure du réacteur, d'un poids de 2000 tonnes. Le cœur est désormais à ciel ouvert. Le graphite prend feu. Trente foyers s'allument.
Les débris de combustible et de structure du réacteur sont projetés dans les environs de la centrale. Les poussières, les aérosols et les gaz sont entraînés par les masses d’air jusqu’à 10 000 mètres d’altitude et dérivent au gré des vents au-dessus d’une majeure partie de l’Europe. Ce sont au total près de 12 exabecquerels (exa= milliard de milliard)  qui, en 10 jours, sont partis dans l'environnement, soit 30 000 fois l'ensemble des rejets d'aérosols des installations nucléaires dans le monde en une année.

Le bilan sanitaire

Près de 4000 personnes pourraient finalement décéder des suites d'une radio-exposition consécutive à l'accident, même si, à ce jour, une quarantaine de morts seulement lui ont été directement attribués.

Ces chiffres figurent dans un rapport intitulé «Chernobyl’s Legacy: Health, Environmental and Socio-Economic Impacts» (L'héritage de Tchernobyl : impacts sanitaires, environnementaux et socio-économiques).

Ce rapport résume une étude multidisciplinaire de 600 pages qui recense les travaux d’une centaine de scientifiques, d'économistes et de spécialistes de la santé. Il est publié par un forum composé de huit institutions spécialisées des Nations Unies: l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les programmes des Nations Unies pour le développement (PNUD), pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et pour l’environnement (PNUE), le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), le Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR), la Banque mondiale, ainsi que les gouvernements du Belarus, de la Russie et de l'Ukraine.

«Cette compilation des recherches les plus récentes répond aux questions que l'on continuait à se poser sur le nombre de décès et de maladies imputables à l'accident de Tchernobyl et sur ses répercussions économiques», déclare le président du Forum Tchernobyl, Burton Bennett, éminent spécialiste des effets radiologiques.

Un millier de personnes présentes sur le site de la centrale ont été exposées à des doses de rayonnement très élevées le jour de l’accident. Selon le rapport, un peu plus de 2000 des quelques 200 000 travailleurs chargés d’éliminer les traces les plus visibles de l’accident en 1986 et 1987 pourraient décéder des suites d’une radio-exposition.

Rassurant

Quelque 4000 cas de cancers de la thyroïde, essentiellement chez des enfants et des adolescents au moment de l'accident, sont imputables à la contamination résultant de l'accident, avec 9 décès avérés. Le taux de survie parmi les patients atteints de ce type de cancer atteint presque 99%.

La plupart des habitants des zones contaminées ont reçu des doses relativement faibles, comparables aux niveaux du fond de rayonnement naturel. Aucune indication ni probabilité d’une diminution de la fertilité parmi les populations touchées, ni aucune indication d’une augmentation des malformations congénitales pouvant être attribuées à une radio-exposition n’ont été établies.

Telles sont les principales conclusions sanitaires de l’étude du Forum Tchernobyl. On est loin des centaines de milliers, voire des millions de victimes régulièrement invoquées par des organisations antinucléaires. Cet accident n’en est pas moins une catastrophe au sens réel du terme pour les centaines de milliers d’habitants des zones les plus touchées, traumatisés par la crainte d’avoir été irradiés ou par le déracinement qu’ils ont subi.

Toute relance durable de l’énergie nucléaire passera immanquablement par la démonstration préalable qu’un second Tchernobyl est inconcevable dans les installations nucléaires modernes. Or l’autre catastrophe atomique civile, en 1979 à Three Mile Island, devrait paradoxalement rassurer les plus sceptiques: la fonte du cœur, le pire accident qu’on puisse imaginer, n’a en aucun moment mis en danger les hommes et l’environnement. Parce que le réacteur était équipé d’enceintes d’acier et d’un dôme de béton qui n’existaient pas à Tchernobyl.


L'humour des uns et des autres

Le débat énergétique, dans ce pays, n’échappe désormais plus complètement à la personnalisation (pipolisation en français moderne). Le soussigné en a fait récemment l’expérience pour avoir été gratifié du «Poisson vert», une récompense décernée le 1er avril de chaque année par l’association Ecologie libérale à celle ou celui qui a prononcé ou écrit les propos les plus risibles en matière énergétique ou environnementale.

Qu’avais-je affirmé de si drôle pour mériter une distinction aussi prestigieuse? Qu’il fallait «9 mètres carrés de capteurs solaires pour alimenter une seule ampoule de 100 watts». Ce chiffre, qui peut effectivement surprendre, était mentionné à titre d’exemple dans un article publié par le quotidien Le Temps. Il se référait à l’installation Nevada Solar One, Aux Etats-Unis, de type héliothermique avec des miroirs paraboliques.

Or cet ouvrage d’avant-garde d’une surface de 1,3 kilomètre carré présente une puissance de 64 mégawatts thermiques, soit près de 49 watts par mètre carré. Avec un rendement de conversion thermodynamique de 23%, on y dispose ainsi d’une puissance électrique globale de 15 mégawatts crête, soit 11,5 watts par mètre carré. Conclusion irréfutable: il faut bien 9 mètres carrés de surface de captage pour alimenter une lampe électrique de 100 watts.

« Ecologie libérale ne manque pas d’humour», écrivait un quotidien vaudois dans un article consacré à ce «Poisson vert» 2009.

Effectivement… (JPB)

Rédaction: Jean-Pierre Bommer

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La centrale de Tchernobyl