Stratégie énergétique 2050, encore à améliorer

Lors de l’examen de la Stratégie énergétique 2050, le Conseil des Etats a créé des divergences importantes par rapport au Conseil national. Cependant, la Stratégie énergétique 2050 n’est toujours pas convaincante. Des questions majeures restent encore sans réponse. Ainsi, le premier paquet de mesures ne permet d’atteindre que la moitié des objectifs fixés. Les énergies renouvelables ne remplaceront pas à temps la production des centrales nucléaires mises à l’arrêt. Il faudra soit importer beaucoup d’électricité, soit en produire par d’autres moyens. De même, le coût global pour l’industrie et la société reste flou.

Le Conseil des Etats a clairement décidé par 39 voix contre 2 d’entrer en matière (13.074 Stratégie énergétique 2050, premier volet). Au cours du débat, il a pris des décisions qui améliorent plusieurs points du projet.

Dès le début du débat, le Conseil des Etats a réduit la valeur indicative pour le développement des nouvelles énergies renouvelables d’ici à 2035 de 14 500 gigawattheures à 11 400 (art. 2 LEne). Le Conseil des Etats a considéré cette baisse de plus de 20% comme l’hypothèse la plus réaliste. Cette décision montre qu’il est loin de partager l’optimisme du Conseil fédéral et du Conseil national en ce qui concerne le développement des nouvelles énergies renouvelables. Mais elle signifie aussi qu’après l’arrêt des centrales nucléaires, l’écart à combler entre la production d’électricité en Suisse et la consommation sera encore plus important que ce que les décideurs politiques laissaient entendre jusqu’à maintenant.
En augmentant le montant de la rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC) à 2,3 centimes par kilowattheure (art. 37 al. 3 LEne), le Conseil des Etats a laissé passer l’opportunité d’envoyer un message fort contre l’alourdissement croissant des charges payées par les entreprises et les ménages. Le soutien financier temporaire aux centrales hydrauliques en difficulté, de 0,2 centime par kilowattheure, est compris dans ce montant (art. 33a et art. 38 al. 1 let. c LEne).

Le Conseil des Etats a toutefois introduit une limitation dans le temps de la RPC (art. 39a LEne), demandée en particulier par les entreprises industrielles. Aucune nouvelle installation ne pourra être intégrée au système d’encouragement à compter de la sixième année suivant l’entrée en vigueur de la loi sur l’énergie. Les rétributions uniques et contributions à l’investissement cesseront également à partir de 2031.

Contrairement au Conseil national, le Conseil des Etats soutient le modèle du Conseil fédéral, selon lequel l’électricité issue des nouvelles énergies renouvelables est commercialisée directement ou via un fournisseur d’électricité aux prix du marché (art. 19 ss. LEne). Le producteur perçoit la différence entre le prix du marché et le coût de revient, au moyen d’une prime d’injection. Cette dernière incite à adapter la production à la demande, ce qui est positif. Le graphique ci-après illustre l’évolution du prix sur une journée dans une centrale possédant de bonnes possibilités de gestion (biogaz, par exemple). Si la centrale injecte de l’électricité l’après-midi quand la demande est basse (zones à pois), le produit de la vente sera relativement faible. Si la période d’injection est avancée au matin (zone à carreaux), la vente d’électricité est mieux rémunérée. Dans les deux cas, la prime d’injection est égale. Cette prime correspond à la différence entre le taux de rétribution et le prix de marché de référence. Par rapport à la RPC classique, l’injection matinale permet d’obtenir une meilleure rétribution que l’après-midi. Les producteurs sont donc incités à exploiter la centrale dans la mesure du possible pendant les périodes où la demande d’électricité est importante. Si l’installation dispose d’une possibilité de stockage (comme pour le biogaz), l’exploitant stockera l’énergie pendant les périodes de bas tarif plutôt que de produire de l’électricité.

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Le Conseil des Etats a rejeté les objectifs dʼefficacité imposés aux fournisseurs d’électricité (art. 34 al.2-3 et art. 48-50 LEne). Le Conseil national souhaitait obliger les gestionnaires de réseau à participer à un système de bonus-malus dans le but d’augmenter l’efficacité énergétique. Le système de bonus-malus représente toutefois une atteinte claire au principe de causalité, car les gestionnaires de réseau ne disposent d’aucune base légale pour imposer une gestion efficiente aux consommateurs finaux. Au contraire, ils sont légalement tenus de fournir la quantité d’électricité demandée. De plus, le système de bonus-malus crée un monstre bureaucratique. En Suisse, il existe plus de 600 fournisseurs d’énergie avec lesquels il faudrait conclure individuellement des contrats sur les objectifs. Ces objectifs devraient, en outre, être adaptés régulièrement suivant l’évolution des situations. Ainsi, par exemple, le choix d’un petit gestionnaire de réseau par une entreprise de production grande consommatrice d’énergie entraînerait une hausse massive de la quantité d’électricité demandée.

Le Conseil des Etats a également approuvé l’interdiction d’accorder de nouvelles autorisations générales pour la construction de nouvelles centrales nucléaires (art. 12 al. 4) ainsi que celle du retraitement des éléments combustibles usés (art. 9 al. 2 LENu). Le concept d’exploitation à long terme introduit par le Conseil national (art. 25a LENu) n’a a en revanche pas trouvé de majorité. Celui-ci prévoit qu’au terme de la durée d’exploitation de 40 ans, un concept doit être présenté pour prolonger la durée d’exploitation d’une centrale nucléaire. Une fois le concept approuvé par l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire, l’exploitation peut être prolongée de dix ans à plusieurs reprises, dans la mesure où le concept garantit une sécurité renforcée pour la durée de fonctionnement restante. Cette sécurité dépend de la durée d’exploitation prévue, de la preuve que les limites de conception des parties importantes de l’installation pour la sécurité n’ont jamais été atteintes pendant la durée de l’exploitation, avec une marge de sécurité, des mesures de rééquipement et d’amélioration prévues, de la mise à disposition du personnel suffisant et des connaissances techniques nécessaires. Le Conseil fédéral fixe les modalités et en particulier les exigences relatives au concept d’exploitation à long terme. A ce sujet, le Conseil des Etats partageait l’opinion de sa commission selon laquelle ce concept d’exploitation à long terme ne renforce pas la sécurité et cause pour les exploitants de centrales nucléaires une insécurité juridique et une incertitude quant aux investissements. Pour Beznau I et II par exemple, une seule prolongation aurait été possible.

Un projet qui ne convainc pas

Bien que le Conseil des Etats l’ait améliorée sur certains points, la Stratégie énergétique 2050, laisse toujours des questions majeures sans réponse. C’est le cas par exemple de la manière d’atteindre les objectifs ambitieux d’augmentation de la production électrique et de l’efficacité énergétique. Avec le premier paquet de mesures, seule la moitié du chemin a été parcourue. Fin octobre, le Conseil fédéral a certes adopté le message relatif à un système incitatif en matière climatique et énergétique, qui prévoit le passage du système d’encouragement au système d’incitation à partir de 2021. L’étude du nouvel article constitutionnel y relatif prendra cependant du temps au Parlement et fait déjà l’objet d’une forte contestation.

La transparence fait également défaut au niveau des coûts. Les nouvelles énergies renouvelables, telles que l’éolien et le photovoltaïque, ne produisent pas selon la demande, mais lorsque le vent souffle et que le soleil brille. Pour compenser ces variations, des investissements se chiffrant à plusieurs milliards sont nécessaires dans le développement du réseau de transport et du stockage de l’électricité. Ces coûts ne figurent pas, ou seulement partiellement, dans la Stratégie énergétique 2050 et ne sont donc pas intégrés dans l’appréciation globale.

Par ailleurs, les nouvelles énergies renouvelables ne pourront pas remplacer à temps la production des centrales nucléaires mises à l’arrêt. Il faut donc trouver une solution transitoire pour compenser l’électricité manquante. Le Conseil fédéral et le Parlement ne se sont pas exprimés à ce jour sur la voie que doit prendre la Suisse à ce sujet. Les centrales à gaz à cycle combiné constituent une alternative. Celles-ci se heurtent toutefois à une forte opposition, notamment en Suisse alémanique, et la loi sur le CO2 ne permet pas de les exploiter de manière rentable en Suisse. Reste la possibilité d’importer de grandes quantités d’électricité, mais celle-ci proviendra essentiellement des centrales à charbon allemandes ou du nucléaire français, ce qui semble étonnamment ne pas gêner grand monde, pour l’instant du moins.

La procédure dʼélimination des divergences devrait permettre au parlement nouvellement élu d’apporter des améliorations substantielles à l’ensemble du projet Stratégie 2050.

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