Situation délicate de la force hydraulique en Suisse

La force hydraulique occupe de longue date une place importante dans la production d’énergie en Suisse. Alors qu’elle a longtemps représenté presque la seule source d’électricité, sa part s’est désormais stabilisée à environ 56%. Avec la sortie du nucléaire, qui occupe actuellement la deuxième place dans la production d’électricité, la force hydraulique va prendre encore plus d’importance et la Stratégie énergétique de la Confédération a pour objectif de la développer. Or, dans le contexte européen actuel avec les subventions importantes et la priorité accordée au nouveau renouvelable, le prix bas du charbon et du CO2 et les capacités de production excédentaires, elle se trouve dans une situation économique difficile : la rentabilité de la production hydroélectrique actuelle est menacée et il n’y a que peu d’intérêt pour de nouveaux investissements dans ce domaine. Des corrections politiques doivent donc être impérativement apportées à la politique énergétique afin de renforcer la production hydraulique indigène. Il est nécessaire de préserver ses revenus, faute de quoi aucun investissement important ne sera engagé. Le sujet est complexe. Le monde politique semble toutefois avoir mis à l’ordre du jour l’encouragement de l’exploitation de la force hydraulique et discute des premières propositions de solution.

L’exploitation de la force hydraulique pour la production d’électricité est issue d’une longue tradition en Suisse puisque ses débuts remontent à la fin du XIXe siècle. Elle a connu son âge d’or dans les années 1950 à 1970. Son développement annuel culminait alors 0,5 milliard de francs. Jusqu’au début des années 1970, près de 90% de l’électricité produite en Suisse provenait de la force hydraulique. Il a fallu attendre 1985 et la mise en service des centrales nucléaires suisses pour que cette proportion baisse. En pourcentage, la force hydraulique reste cependant la principale source de notre production d’électricité. En 2013, la Suisse a produit au total 68,3 TWh. Il s’agit, après 2001, du deuxième meilleur résultat jamais enregistré par ce secteur. Selon la statistique des aménagements hydroélectriques de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), la Suisse compte actuellement un peu moins de 1300 centrales hydrauliques. Elles ont contribué à près de 58% de la production en 2013, leur part était d’environ 56% lors des années précédentes. Représentant 15% de toutes les installations, les 185 grandes centrales hydrauliques d’une puissance de plus de 10 MW fournissent 90% de l’électricité produite par la force hydraulique. En Suisse, la force hydraulique fournit de l’électricité en ruban (centrales au fil de l’eau) comme de l’électricité de pointe (centrales à accumulation). Elle peut s’adapter aux variations de production des nouvelles énergies renouvelables et les complète parfaitement grâce à sa flexibilité de réglage et au stockage dans les lacs d’accumulation. Il s’agit d’un avantage important.

L’importance économique de la force hydraulique

Réalisée sur mandat de l’OFEN en 2013, une étude estime la valeur ajoutée brute de la force hydraulique à 2,4 milliards de francs par an pour environ 5 000 salariés à plein temps, soit une grande importance économique. Pendant de nombreuses années, elle a été très rentable. Les centrales à pompage-turbinage jouaient alors un rôle central. Pendant la nuit, l’électricité était importée à un tarif plus avantageux afin de pomper l’eau dans les bassins d’accumulation. Cela garantissait la production pendant toute la journée et permettait la vente et l’exportation d’électricité plus chère à l’étranger lors des heures de pointe. De ce fait, la Suisse a connu de 2002 à 2011 un excédent annuel du commerce de l’électricité de plus d’un milliard de francs (à l’exception de l’année 2005 avec environ 740 millions de francs).

Une conjoncture actuelle problématique pour la rentabilité de la force hydraulique

Ces dernières années, la situation des prix de l’électricité a fortement changé en Europe. Ils ont chuté au cours de la crise financière, économique et de l’Euro. Cela s’explique aussi par les distorsions du marché en Europe. Le subventionnement et la priorité accordée aux nouvelles énergies renouvelables ont entraîné une forte augmentation des quantités d’électricité éolienne et solaire, ce qui a conduit à une baisse des prix du marché dans le commerce de gros de l’électricité. Lorsque les conditions météorologiques sont favorables, c’est-à-dire un rayonnement solaire élevé et un vent fort, ces installations avec accès prioritaire au réseau produisent beaucoup d’électricité et mettent à mal l’attractivité de la force hydraulique sur le marché. Les investissements dans les installations éoliennes et solaires sont financés via des subventions tandis que leurs ressources (vent et soleil) ne coûtent rien, ce qui n’est pas le cas pour la force hydraulique.

En outre, la production électrique à partir de lignite a atteint en 2013 en Allemagne, un nouveau niveau record en raison des faibles prix du charbon et du CO2. En Europe, le prix du CO2 a reculé à 6 euros par tonne, supprimant de ce fait tout effet incitatif. Si de nombreuses centrales hydrauliques indigènes produisent leur électricité au prix très avantageux de 5 à 6 ct./kWh, leur exploitation dans le contexte actuel des prix ne couvre plus les coûts. Depuis 2008, les prix de l’électricité pratiqué dans les différentes bourses européennes de l’électricité ont chuté de près d’un tiers à environ 5,5 ct./kWh pour la charge de base et environ 6,8 ct./kWh pour la charge de pointe.

Cette évolution donne lieu à une augmentation des pertes pour les centrales hydrauliques car actuellement il est souvent plus avantageux d’importer du courant que de le produire par le biais de la force hydraulique indigène. L’OFEN lui-même a constaté cette année dans un rapport que les coûts de revient moyens des installations de grande hydraulique existantes sont au-dessus des prix actuels du marché et en a conclu: «Dans le contexte actuel du marché international, l’exploitation rentable des grandes hydrauliques existantes n’est plus possible». Un redressement des prix à court terme n’est pas en vue. Les prix bas et les plus faibles quantités d’électricité issue de la force hydraulique écoulées ne permettent plus aux exploitants de bénéficier des gains correspondants qui seraient très utiles pour de nouveaux investissements dans l’énergie hydraulique. Ainsi, les renouvellements d’installations, les accroissements de capacités ou les nouveaux projets sont repoussés. La réduction du personnel et, de ce fait, la perte d’un savoir-faire important en sont également les conséquences.

Depuis 2012, la situation dans le commerce de l’électricité en Suisse s’est également sensiblement détériorée. De même, les bénéfices commerciaux se sont effondrés en quelques années. Après des années au-dessus du milliard de francs, le solde positif du commerce extérieur de la Suisse a chuté en 2012 à 771 millions de francs et même à 327 millions de francs en 2013. Et ce en dépit du fait que l’excédent d’exportations qui en 2012 s’élevait à 2,2 TWh, ait pu augmenter en 2013 à 2,4 TWh. Mais ces chiffres soulignent aussi l’importance des centrales à pompage-turbinage et à accumulation pour compenser les quantités d’électricité issue des énergies renouvelables à forte fluctuation. La valeur de la force hydraulique recule continuellement et menace sa rentabilité, tandis que sa contribution à la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans la situation actuelle est de plus en plus importante. La rentabilité de la force hydraulique est essentielle pour contribuer à l’avenir à la sécurité de l’approvisionnement.

La situation politique actuelle en Suisse

Les évolutions présentées sont en nette contradiction avec les projets de la Confédération qui, dans sa Stratégie énergétique 2050, prévoit un développement de la force hydraulique. La production annuelle moyenne d’électricité issue de la force hydraulique doit atteindre au moins 37,4 TWh en 2035 et augmenter à 38,6 TWh d’ici à 2050. Ces projets sont déjà considérés comme très ambitieux dans des conditions normales. Pour l’heure, les entreprises n’ont pas la force d’investissement suffisante et la rentabilité de nouvelles installations semble incertaine. Dans ces circonstances, le développement des capacités envisagé est très improbable. Dans un rapport de décembre 2013, l’OFEN a calculé que les coûts de revient moyens de nouvelles constructions à 14,1 ct./kWh seraient nettement supérieurs aux prix actuels du marché de gros de 5 à 6 ct./kWh. La Confédération déclare donc elle-même ses projets de développement comme lettre morte.

On s’interroge sur la manière dont peut s’améliorer la situation de la force hydraulique en Suisse. Début avril 2014, l’Association des entreprises électriques suisses (AES) a exigé dans un communiqué de presse «l’examen de mesures visant à assurer à l’hydraulique suisse une place essentielle à l’avenir». En fait, la branche de l’électricité demande la suppression des distorsions du marché. Pour cela, l’AES soutient des mesures permettant de renouer avec la rentabilité et cite comme exemples des prêts à taux zéro ou à conditions préférentielles. Auparavant, dans un rapport à l’attention de la Commission de l’environnement du Conseil national (CEATE-N), l’OFEN s’était montré sceptique vis-à-vis de l’encouragement des grandes centrales hydrauliques. Le rapport de fin mars 2014 a été diffusé aux médias et publié depuis. Il met en lumière plusieurs mesures de soutien possibles pour la grande hydraulique. Voici une sélection des instruments d’encouragement proposés:

  • Contributions d’investissement: elles doivent permettre de réduire les coûts supplémentaires non amortissables pendant toute la durée de vie de l’installation.
  • Prêts de la Confédération: les installations sont aidées par des prêts (à taux zéro) ou des garanties.
  • Commercialisation directe assortie d’une prime: elle représente pour le producteur qui la reçoit une incitation à orienter la production de son installation en fonction des prix de marché actuels et, par conséquent, en fonction de l’offre et de la demande.
  • Taxe CO2 sur le courant gris: l’électricité ayant une part de CO2 serait taxée et la force hydraulique de ce fait détaxée.

L’OFEN exprime presque en permanence des réserves quant à ces propositions par rapport à la Constitution fédérale puisqu’il manquerait des bases légales. En outre, l’OFEN prévoit des difficultés par rapport au droit de l’UE en la matière car les aides d’Etat (subventions et autres mesures visant à favoriser) sont illicites. Avec ces instruments d’encouragement, l’OFEN craint une augmentation des distorsions de marché et prévoit que l’ouverture complète du marché entraîne des inconvénients importants. Comme possibilités à court terme, des adaptations des redevances hydrauliques et de l’indemnisation du droit de retour sont proposées de manière à soulager efficacement les entreprises d’approvisionnement énergétique. L’OFEN déplace ainsi la solution du problème au niveau des cantons.

Le monde politique semble se focaliser à présent sur l’encouragement des exploitations supplémentaires de la force hydraulique. Les consultations relatives à la Stratégie énergétique 2050 ont lieu actuellement au sein de la Commission de l’environnement du Conseil national (CEATE-N). Le 2 avril 2014, la Commission a décidé par 14 voix contre 10 d’examiner de plus près l’encouragement de la force hydraulique suisse. A cette fin, la CEATE-N a institué une sous-commission chargée d’élaborer des propositions concrètes visant à soutenir l’énergie hydraulique en Suisse. La sous-commission doit proposer des mesures d’encouragement plus complètes que celles proposées par le Conseil fédéral dans son projet et qui pourront être prises en compte lors de la discussion par article du projet relatif à la Stratégie énergétique 2050. C’est pourquoi des dispositions essentielles quant à l’encouragement de la force hydraulique ont été pour le moment reportées par la Commission lors de ses réunions des 28 et 29 avril 2014. Elle souhaite d’abord attendre les résultats et les propositions de la sous-commission. Nous sommes impatients de les découvrir.

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