Sécurité de l’approvisionnement : nouvelles conditions-cadres

Principal pilier sur lequel repose la sécurité de l’approvisionnement électrique du pays, le secteur hydraulique suisse est aujourd’hui sous pression. Décideurs économiques et politiques s’accordent sur le fait qu’il doit être soutenu. Administration, producteurs d’électricité et Parlement : les acteurs du secteur proposent à cette fin différentes solutions.

Contexte

Bas prix des énergies fossiles et des certificats CO2, marché faussé par les subventions octroyées aux énergies renouvelables, surcapacités de production sur le marché européen, faiblesse de la conjoncture et force du franc sont autant de facteurs qui expliquent l’effondrement des prix sur le marché de l’électricité.

Cette situation pénalise sérieusement les centrales hydroélectriques suisses, car les investissements effectués pour développer ou entretenir les infrastructures ne sont actuellement pas rentabilisés. Ces installations constituent pourtant le principal pilier de la sécurité de l’approvisionnement électrique du pays puisqu’elles fournissent près de 60 % de l’électricité produite en Suisse.

La sécurité de l’approvisionnement électrique en Suisse reste certes élevée. Pour qu’elle soit garantie à l’avenir également, il est nécessaire de prendre des mesures qui renforcent à moyen et à long terme les capacités de production des centrales helvétiques. Les pays voisins n’ont pas attendu pour réagir. De nombreux Etats de l’UE ont introduit au niveau national des mécanismes qui soutiennent économiquement le système électrique et mis en place des incitations à l’investissement pour développer et entretenir les capacités des centrales électriques.

Mesures de soutien dans le cadre de la stratégie énergétique 2050

L’adoption de la Stratégie énergétique 2050 le 21 mai 2017 a permis de prendre partiellement en compte la situation décrite plus haut. Pendant cinq ans, une prime de marché de 0,2 centime en faveur des installations déficitaires sera prélevée sur le supplément sur les coûts de transport qui se monte à 2,3 ct. par kWh. En outre, des contributions d’investissement seront financées de la même manière à hauteur de 0,1 ct. afin de soutenir la rénovation et l‘agrandissement des installations existantes. Par ailleurs, la fin de la rétribution à prix coûtant (RPC) étant programmée pour 2022, un nouveau concept du marché de l‘électricité devra être introduit en 2023.

Actuellement, le marché de l’électricité en Suisse est hybride. L’ouverture partielle du marché qui, selon la loi, aurait dû s’achever en 2014 déjà, et les inégalités de traitement qu’elle implique entre les producteurs ayant ou non des consommateurs finaux captifs perdureront. En conséquence, les producteurs avec des clients captifs peuvent non seulement refacturer les coûts de production à leurs consommateurs finaux mais aussi profiter d’un bénéfice certain provenant du réseau de distribution réglementé.

Stade des négociations sur la stratégie Réseaux électriques

La répercussion des coûts de revient par les producteurs sur les consommateurs captifs bénéficiant de l’approvisionnement de base – en contradiction avec la loi, comme confirmé par un arrêt du Tribunal fédéral – puis la suppression par le Conseil des Etats de l’article correspondant dans la loi sur l’approvisionnement en électricité (LApEI) expliquent pourquoi la Commission de FRE – Fédération romande pour l’énergie 2 l’énergie du Conseil national (CEATE-N) a réfléchi à une obligation de reprise et de rétribution dans le cadre de la stratégie Réseaux électriques. La commission avait ainsi prévu, comme solution transitoire, que l’électricité fournie aux consommateurs captifs soit uniquement issue d’énergies renouvelables indigènes et que les coûts de la propre production puissent être entièrement répercutés sur les consommateurs finaux. Toutefois, le Conseil national a au final rejeté la demande de sa commission le 30 mai 2017. Il a regroupé les différents aspects relatifs à la force hydraulique dans un nouveau projet qui a été renvoyé à la commission, laquelle est déjà entrée en matière à ce sujet. Les producteurs d’électricité proposent d’introduire à court terme une mesure transitoire sous la forme d’une prime d’approvisionnement de base. Celle-ci s’inspire de la proposition de la commission et veille à ce que tous les exploitants soient en mesure d’effectuer les investissements nécessaires à l’entretien des installations hydroélectriques suisses. La prime serait perçue auprès des gestionnaires du réseau de distribution proportionnellement à leurs ventes. Ceux-ci pourraient la facturer aux clients de l’approvisionnement de base. En contrepartie, les consommateurs finaux pourraient obtenir en tout temps de leur gestionnaire de réseaux de distribution la quantité d’électricité souhaitée, avec le niveau de qualité exigé et à des tarifs adaptés.

Etat des lieux du marché de l’électricité après 2020

Au début de l’année, l‘Office fédéral de l’énergie (OFEN) a publié un rapport (Etat des lieux du marché de l’électricité après 2020 : Rapport relatif aux mesures supplémentaires concernant les centrales existantes et les énergies renouvelables) dans lequel sont présentés différents instruments permettant de garantir à long terme la sécurité de l’approvisionnement en Suisse. Ceux-ci se répartissent globalement en trois catégories : taxe différenciée sur l’électricité, systèmes d’encouragement pour le développement des énergies renouvelables et maintien et développement des capacités de production.

• La taxe différenciée sur l’électricité a pour but d’internaliser les coûts externes de la production de courant classique. De cette manière, l’électricité issue d’énergies non renouvelables serait soumise à des taxes plus élevées que celle provenant d’énergies renouvelables. Le courant ne pouvant faire l’objet d’aucune distinction en fonction de son origine, des garanties d’origine attesteraient que l’électricité provient bien de sources renouvelables.

• Les systèmes d’encouragement pour le développement des énergies renouvelables visent à protéger le climat et à augmenter la production d’électricité en Suisse. Les primes d’injection permettent de compenser l’écart entre les coûts de revient et les prix du marché, créant ainsi des incitations à l‘investissement. Les contributions d’investissement constituent aussi une alternative aux primes d’injection. Ces rétributions uniques sont déjà utilisées aujourd’hui pour promouvoir les installations photovoltaïques mais peuvent être étendues à tous les types d’énergies renouvelables.

Au lieu d’être fixé par l’Etat, le montant de la subvention (prime d’injection ou contribution d’investissement) pourrait être déterminé par une vente aux enchères, comme c’est le cas aujourd’hui aux Pays-Bas, en Allemagne, en France ou au Danemark.

Contrairement aux primes d’injection ou aux contributions d’investissement, le modèle de quotas agit au niveau des distributeurs d’électricité et non des producteurs. Dans ce modèle, les distributeurs sont tenus de livrer à leurs clients finaux une part minimale d’électricité produite à partir de sources renouvelables. Ils attestent au moyen de certificats d’origine qu’ils ont bien atteint le quota d’énergies renouvelables fixé. Cette part minimale sera augmentée régulièrement ces prochaines années jusqu’à ce que le quota d’électricité renouvelable défini par les pouvoirs publics soit atteint.

• Les mesures relatives au maintien et au développement des capacités de production visent une amélioration au niveau des coûts ou du rendement des centrales, plus précisément l’octroi de garanties en cas de déficits. L’obligation de reprise et de rétribution va encore un peu plus loin. En comparaison avec le modèle de prime de marché, le producteur ne bénéficie pas seulement d’une rétribution, mais aussi d’une garantie de reprise de sa production.

Quant aux mécanismes de capacité, ils veillent à garantir qu’à long terme des capacités suffisantes soient disponibles. Les propriétaires de centrales perçoivent, en plus du prix du marché, des revenus pour la mise à disposition à long terme des capacités des centrales. FRE – Fédération romande pour l’énergie 3

Avec l’indemnisation des réserves de stockage stratégiques, les exploitants de stockage sont indemnisés s’ils repoussent leur injection à des moments critiques pour l’approvisionnement. L’indemnisation porte sur les coûts d’opportunité générés sous la forme de pertes de revenus. Cette mesure ne constitue toutefois pas une incitation à l’investissement.

MMAC : les producteurs de courant proposent un nouveau modèle de marché

Les producteurs d’électricité AET, Alpiq, Axpo, CKW, FMW et Repower agissent concrètement. Ils proposent ainsi le « modèle de marché pour la sécurité d’approvisionnement et la protection du climat (MMAC) » qui, d’une part, contribue à garantir la sécurité de l’approvisionnement et, d’autre part, doit soutenir les objectifs fixés par la Confédération en matière de politique climatique. En tant que modèle de marché à long terme, le MMAC s’appuie sur la taxe différenciée sur l’électricité.

En Suisse, les énergies fossiles, comme le mazout et le charbon, sont aujourd’hui soumises à une taxe CO2. Bien que durant les mois d’hiver la Suisse importe beaucoup d’électricité provenant de centrales à charbon, aucune taxe n’est perçue sur cette source d’énergie. Le MMAC entend supprimer les inégalités de traitement et soumettre également la consommation de courant à une taxe CO2. Le courant produit en Suisse sans émissions de CO2 est par contre exempté de la taxe. Les certificats d’origine qui existent et sont négociables aujourd’hui servent de justificatifs. Seuls sont valables les certificats d’origine du mois durant lequel le courant est consommé. Cela permet d’éviter le «greenwashing» de l’électricité importée en hiver au moyen de certificats portant sur la période d’été. Dans les mois où la production nationale ne suffit pas à assurer les besoins du pays, la valeur des certificats d’origine se rapproche de la taxe sur le CO2. Cet enchérissement profite aux centrales qui produisent du courant en fonction de la demande (c’est-à-dire uniquement quand la Suisse en a besoin). Le MMAC crée ainsi une forte incitation à l’investissement dans les centrales électriques qui produisent en hiver et ne rejettent pas de CO2, à savoir les centrales hydroélectriques, à bois ou de biomasse.

Le modèle préserve de deux façons différentes les objectifs de la Confédération en matière de politique climatique : il permettra, pour les centrales hydrauliques, d’investir de façon adéquate dans l’entretien et le renouvellement des infrastructures. Par ailleurs, il encouragera à long terme la construction de centrales performantes, sans rejets de CO2. Etant donné que le marché pour les certificats d’origine est distinct du marché de l’électricité, l’introduction du MMAC n’entraînera aucun effet secondaire indésirable. Bien au contraire, il corrigera les distorsions causées par les prix du CO2 maintenus politiquement à un niveau trop bas.

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